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CHAPITRE IV

1. — Dans la synagogue se lèvent ceux qui savent parler.

2. — Moi, je suis petit, et ne sais que parler bas.

3. — Mais je sais déjà écouter avec autorité.

4. — Et assis, je baisse la tête pour écouter, voyant sur mon genou ma main qui est blessée à un doigt à cause d’un coup de varlope.

5. — Puis, plus haut, je vois ce que j’entends.

6. — Dehors, on ne voyait les hommes juifs et les femmes juives que par leur couleur, leur œil qui roule et leurs gros doigts. Ici, on voit le dedans de la race.

7. — La vertu du croyant est d’avoir peur de Dieu.

8. — Et nous qui sommes réunis là, nous sommes tous couronnés et serrés ensemble par la peur de Dieu.

9. — On parle. Je pense aux grands jours de Néhémie.

10. — Car c’est là l’endroit où j’aime le mieux aller dans notre histoire.

11. — Quand la petite troupe des compagnons d’Esdras vint de Babylone à Jérusalem, et trouva que la génération du Temple avait oublié la Loi, et quand Esdras désespéré confessa devant le peuple le péché commun, et qu’Israël se repentit tout entier, et se refit tout entier, et recommença sa destinée sur les ruines de son bonheur impie ;

12. — Ce recommencement fut dur et grand. Et pourtant, dans la joie de l’accomplir, Jérusalem pendant sept jours s’habilla de feuillages. Les tabernacles en branches d’olivier, de myrte et de palmier, s’élevaient partout : sur le toit des maisons, dans les cours, sur le parvis du Temple.

13. — Car Israël a un grand pouvoir de repentance et de redressement.

14. — Et un éternel printemps dans ses entrailles.

15. — Il tombe dans le péché, mais il est de taille à en sortir.

16. — Et ses remords sont impitoyables.

17. — Et il est, par là, une rectitude au milieu des peuples.

18. — Et maintenant, nous sommes aussi à une heure grave de notre drame commun.

19. — De tous côtés, aujourd’hui, la grande nouvelle retentit :

20. — Les jours sont proches. Le vieux monde va mourir la mort.

21. — Et ils disent que c’est l’achèvement des temps et l’heure de la Révolution, et qu’il va éclater dans les crépuscules de la terre, l’arc-en-ciel de justice.

22. — Et, levant la tête, ils vivent la consolation d’Israël.

23. — Car l’Eternel rugira de Sion, et le Dieu de justice enverra bouleverser les royaumes de la terre dont la gloire est du Démon, et fera une grande diminution sur la terre. Cela nous fut annoncé en préceptes d’anges.

24. — Car en bas, (disent-ils), il y a l’abîme, puis le cachot des morts, puis la terre où passent les hommes, puis l’air, et le firmament sillonnés par Satan et ses Princes, puis sept cieux inouïs, peuplés de millions d’anges, et des Puissances et Dominations, autour des sept trônes. Or, du plus haut du septième ciel se détachera le Messie, fragment incandescent du seul Trône, qui tombera jusque sur la terre, puis remontera en lumière à travers le Plérôme universel.

25. — Le Messie céleste aura une faux, et la terre sera moissonnée. Il poursuivra le coupable : S’il se noie dans la mer, dit le Seigneur, je mandaterai le monstre pour le repêcher ; s’il se mêle aux hommes, je mandaterai l’épée pour sa gorge ; s’il monte au ciel, je l’en ferai descendre ; s’il descend au tombeau, je l’en tirerai dehors.

26. — Les royaumes s’écouleront. Ceux qui domineront les nations les feront hurler. Les cieux passeront. Et toutes les îles s’enfuiront, et les montagnes ne seront plus trouvées. Ce sera un jour d’exaspération et d’angoisse, où le soleil noircira, où les cavaliers et les fantômes se heurteront dans le ciel et les hautes nuées. Car ce jour-là, la terre rendra son dépôt de morts et les enfers rendront ce qu’ils doivent.

27. — Et le héros de la Révolution mettra une ère nouvelle où Israël sera élevé par-dessus les aigles. Et les étoiles brilleront sept fois plus sur les justes, et l’Eternel traitera avec nous un traité de bonheur.

28. — Tel est le rêve que fait notre peuple (car les images que fait un peuple sont comme les rêves que fait un homme, avec des morceaux de lui-même).

29. — Nous dont les espérances se sont l’une après l’autre cassées, nous sommes le peuple de l’espérance, le peuple-homme.

30. — Le malheur nous a faits ce que nous sommes, à n’en plus finir.

31. — Et voilà ce que nous crions, nous qui dormons encore !

32. — Dans les rues où je passe pour retourner à la maison, le soleil couchant se met en long. Les gens pensent à la Révolution.

33. — Et l’un dit : Tu crois qu’elle vient, cette Révolution ? Et l’autre dit : Il paraît que c’est pour demain.

34. — Et tous regardent au fond du ciel le soleil, palais de justice du monde.

35. — Mais chacun s’occupe aussi de son affaire de travail et de famille. Car on a à la fois plusieurs espoirs, qui diffèrent par la distance.

36. — Et en traversant la place où était l’école des écoliers, j’entendis ceux-ci, lesquels avaient peur et avaient sommeil sous leur maître, (car ils clignaient de l’œil et ils bâillaient) répéter ensemble : Caphtor, Kittim, Ophir.

37. — Car on vit dans les minutes, goutte à goutte.

38. — Et autour du grand figuier de la place, il y a devant chaque porte un figuier de taille moyenne.

39. — Dont les fruits sont tièdes comme la main.

40. — C’est chacun de ces figuiers qui entre dans la famille de chacun.

41. — Un soir entre les soirs, un soir que personne ne recueillera et qui sera perdu, en m’endormant, je me demande : Qu’est-ce que je voudrais ?

42. — J’ai dans l’esprit un soulèvement qui ressemble à la Révolution.

43. — Le grand abîme de mes pères crie en moi.

44. — On est fait pour faire quelque chose de juste.

45. — On est fait pour défaire ce qui est injuste.

46. — Il est écrit : Je ferai de la droiture une règle, et de la justice un niveau.

47. — Et un torrent !

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