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CHAPITRE XVI

1. — Serais-tu le Messie ? me dit une femme.

2. — Non, je ne le suis pas.

3. — Cette femme soupira, et regretta ce que j’avais dit.

4. — Ensuite, relevant la tête, elle demanda : Alors, dis-moi où il est.

5. — Il est dans le futur.

6. — Le Messie ouvre charnellement l’avenir.

7. — Et lui donne un cœur.

8. — Et il le mesure comme une borne mouvante.

9. — Croire en sa venue, c’est prendre notre vraie forme qui se précipite et qui ne finit pas.

10. — Jean Zébédée était avec nous. Il ouvrit la bouche et dit : Mais le jour où on annoncera : Il est venu, la grande âme d’Israël ne cessera-t-elle pas d’avancer ?

11. — Et ses âges ne seront-ils pas fermés ?

12. — Et Jean se détourna, n’osant ajouter un mot de plus.

13. — Moi, je repris : Le Messie n’est pas ce qu’on croit.

14. — Jean me dit : Répète ce que tu as dit. Car on ne le voit pas encore bien.

15. — Je répondis : Le Messie, c’est l’esprit, et l’esprit est en nous.

16. — Le royaume de Dieu est comparable à une petite graine qui fera un arbre. L’arbre était donc dans la graine, et la vérité du monde est en nous. Ou bien, il est comparable au trésor qu’un homme a trouvé dans un champ, à ses pieds, et qui, une fois dans ses mains, rayonne. Nous ne sommes jamais des étrangers dans le royaume de la vérité, mais nous ne le voyons pas toujours. La royauté de le voir est en nous. Le règne de Dieu ne viendra pas tout d’un coup avec éclat, et on ne criera point : Le voici, il est ici, ou : le voilà, il est là : car, voici : Le règne de Dieu est au milieu de vous. Cela n’est-il point clair comme le jour ?

17. — Mais Jean répondit : Tu disais : Il est dans l’avenir ; comment dis-tu maintenant : Il est dans le présent ?

18. — C’est que toi, le porteur de Dieu, tu es en même temps le présent et l’avenir, si tu es vivant. Car l’homme, instant par instant, se divise en deux hommes, dont l’un tombe en arrière et l’autre tombe en avant. Si tu dis : hier, tu dis la mort ; si tu dis : demain, tu dis la vie. Dire d’un Messie : Il est là, c’est dire : Il était là.

19. — Car il faut l’attendre, pour s’appuyer sur lui.

20. — Le présent, c’est le commencement.

21. — Que ceux qui ont des oreilles entendent ; et comprennent jusqu’au cœur.

22. — Ils me demandèrent : Que penser des vieux prophètes ?

23. — Vous abandonnez le vivant qui est devant vous, et vous bavardez des morts.

24. — Assez des choses d’autrefois. Voici, on va faire une merveille nouvelle.

25. — Où va-t-on ? Réponse : on va.

26. — La mort seule a une forme. La vie est informe. Mais comment bâtir sur l’avenir, s’appuyer sur les choses qui ne sont pas ?

27. — Sur ces entrefaites, on en vit passer qui allaient semer.

28. — Tu le vois, celui-là, porter des graines ? Il bâtit sur l’avenir, il est tout soutenu par l’immense moisson qui n’est pas.

29. — Jean Zébédée dit : Alors, la vérité ne serait plus invisible ?

30. — Il était debout et avait les bras croisés. Je vis son front se plisser et s’abaisser vers ses bras croisés. Il pensait en avant de lui et au-dedans de lui comme une mère. Il regardait la vérité qui commençait à marcher.

31. — Et il cria comme un malade qui crie pour essayer d’effrayer la douleur : Si tu lui donnes la vie (à l’esprit), tu en fais un ange de destruction.

32. — Et il eut peur, et fit signe que non.

33. — Mais au moment où il faisait : non, il voyait.

34. — Les yeux de ta face, qui font venir les choses devant.

35. — C’est ici la porte des cieux.

36. — La révolte.

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