L'illusion libérale
IX
Jésus-Christ est le roi du monde, il parle au monde par son Prêtre, et les décrets de ce Prêtre, étant l’expression des droits royaux de Jésus-Christ, sont éternels. Ils ne s’appliquent pas à un temps, mais à tous les temps ; à une société, mais à toutes les sociétés ; à quelques hommes, mais à tous les hommes. Et comme ils sont dictés suivant la nature même de l’Humanité par le Créateur même de l’Humanité, partout la société humaine en a besoin, partout son instinct les appelle à force de cris, de gémissements, de troubles renaissants, d’inénarrables douleurs ; car en dehors de leur empire, rien de bon n’existe, ou rien de bon n’a la plénitude et l’assurance de la vie. C’est pourquoi il n’est point de temps, point de société, point d’homme de qui les fidèles du Christ ne doivent, lorsqu’ils le peuvent, exiger quelque forme d’obéissance aux décrets du prêtre de Jésus-Christ roi du monde.
Les enfants du Christ, les enfants du Roi, sont des rois. Ils forment une société absolument supérieure, qui doit s’emparer de la terre et y régner pour baptiser tous les hommes et les élever à cette même vie surnaturelle, à cette même royauté et à cette même gloire que leur a destinées le Christ. Ils doivent tendre à ce but, parce que la domination universelle du Christ réalisera seule l’universelle liberté, l’universelle égalité, l’universelle fraternité. Car la liberté due à l’homme est d’atteindre sa fin surnaturelle, qui est d’aller au Christ ; et l’on ne vit jamais que la société des disciples du Christ qui reconnût les hommes pour égaux et frères.
La société chrétienne, dans l’état normal, se maintient et s’étend au moyen de deux forces qui doivent être distinctes non séparées, unies non confondues, subordonnées non égales. L’une est la tête, l’autre le bras ; l’une est la parole suprême et souveraine du Pontife, l’autre la puissance sociale.
La société chrétienne étant premièrement et avant tout chrétienne, soumet tout à cette première loi ; et elle met toutes choses en leur place, parce qu’elle met d’abord à sa place son seul vrai Seigneur et Maître, Jésus-Christ.
Elle le met à sa place souveraine dans la société comme tous les fidèles le mettent à sa place souveraine dans les âmes ; et de là naissent l’ordre, la liberté, l’unité, la grandeur, la justice, l’empire, la paix.
Ainsi, à travers et malgré les déchirements suscités par les passions de l’infirmité humaine, se forma dans sa variété magnifique cette communauté de l’Europe qu’on put appeler la République ou même la Famille chrétienne ; œuvre merveilleuse, brisée par l’hérésie lorsque la paix intérieure et le progrès des arts lui promettaient la gloire d’étendre au genre humain tout entier le bienfait de la Rédemption. Si l’unité catholique avait été maintenue au seizième siècle, il n’y aurait plus ni infidèles, ni idolâtres, ni esclaves ; le genre humain serait chrétien aujourd’hui, et par le nombre et la diversité des nations dans l’unité de la croyance, il échapperait au despotisme universel qui le menace de si près.