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L'illusion libérale

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XXVI

Telles sont les affinités de toute erreur avec toutes les erreurs, et telle est la pente commune des erreurs limitées vers l’erreur générale, que nous voyons le libéralisme catholique, si fier dans son attitude extérieure, converger vers le césarisme du même pas que la Révolution. Et c’est au nom de la liberté de conscience que l’on tend à cet universel écrasement de la conscience humaine ! Il faut concilier les principes du christianisme avec ceux de la société moderne ; la société moderne l’exige, il faut en passer par là, accepter toutes ses conditions, rejeter tout ce qui lui déplaît, protester contre tout retour à des idées dont elle ne veut plus ! Mais ceux qui trouvent que la société moderne a tort ; ceux qui estiment que ce personnage fantasque — et peut-être fantastique, — affiche d’iniques prétentions ?… Ceux-là, quels que soient leur dignité et leur nombre, doivent se taire, subir le joug, disparaître d’un monde que leur présence irrite. La société libérale, l’humanité émancipée n’entend pas subir leurs contradictions. Il faut courir à cette unité renversée qu’elle rêve pour empêcher l’unité que réaliserait le Pasteur divin, l’unité infernale qui mettra le troupeau sous la seule houlette de César ! Évidemment, à l’exemple des autres docteurs révolutionnaires, les docteurs du libéralisme catholique ont laissé entrer dans leur pensée qu’un même mode de vivre peut et doit être institué dans tous les États européens. Quant aux différences de races, de caractères, d’habitudes religieuses et politiques qu’il faudrait briser et broyer pour obtenir une pareille assimilation, ils n’en tiennent pas compte : la société moderne exige ce sacrifice, la liberté de conscience le fera ! Ne faut-il pas agréer à la « société moderne » ? Ne faut-il pas sauver la liberté de perdition ?…

Au moment où je relis ces lignes, les journaux nous apportent des paroles de Pie IX. Elles sont pleines à la fois de tristesse, de lumière et de fermeté, et elles s’appliquent au sujet de cet écrit. Je m’interromps pour écouter avec le respect et l’amour que nous devons tous au Père des chrétiens.

Le Saint-Père vient de dire qu’il déplore et condamne les usurpations, l’immoralité croissante, la haine contre la religion et l’Église. Il ajoute cet avertissement solennel :

« Mais, tout en déplorant et condamnant, je n’oublie pas les paroles de Celui dont je suis le représentant sur la terre, et qui, dans le jardin de son agonie et sur la croix de ses douleurs, élevait vers le ciel ses yeux mourants et disait : Pater, dimitte illis, nesciunt enim quid faciunt ! Moi aussi, en face des ennemis qui attaquent le Saint-Siége et la doctrine catholique elle-même, je répète : Pater, dimitte illis, nesciunt enim quid faciunt !

« Il y a deux classes d’hommes opposés à l’Église. La première comprend des catholiques qui la respectent et qui l’aiment, mais critiquent ce qui émane d’elle. Depuis le concile de Nicée jusqu’au concile de Trente, comme l’a dit un savant catholique, ils voudraient réformer tous les canons. Depuis le décret du Pape Gélase sur les Livres saints, jusqu’à la bulle qui a défini le dogme de l’Immaculée Conception, ils trouvent à redire à tout, à corriger en tout ; ils sont catholiques, ils se disent nos amis, mais ils oublient le respect qu’ils doivent à l’autorité de l’Église, et s’ils n’y prennent garde, s’ils ne reviennent promptement sur leurs pas, je crains bien qu’ils ne glissent sur cette pente jusqu’à l’abîme où déjà est tombée la seconde classe de nos adversaires.

« Celle-ci est la plus déclarée et la plus dangereuse. Elle se compose de philosophes, de tous ceux qui veulent atteindre la vérité et la justice avec la seule ressource de leur raison. Mais il leur arrive ce que l’apôtre des nations, saint Paul, disait il y a dix-huit siècles : Semper discentes et nunquam ad cognitionem veritatis pervenientes. Ils cherchent, ils cherchent, et bien que la vérité semble fuir devant eux, ils espèrent toujours trouver et nous annoncent une ère nouvelle où l’esprit humain dissipera de lui-même toutes les ténèbres.

« Priez pour ces hommes égarés, vous qui ne partagez pas leurs erreurs. Vous êtes vraiment les disciples de Celui qui a dit : Ego sum via, veritas et vita. Vous savez aussi que tout le monde n’est pas appelé à interpréter sa parole divine, qu’il n’appartient pas aux philosophes d’expliquer sa doctrine, mais seulement à ses ministres, à ceux auxquels il a donné la mission d’enseigner en leur disant : Qui vos audit me audit, quand vous parlerez aux hommes, c’est ma voix même qu’ils entendront[18]. »

[18] Réponse du Saint-Père, à l’Adresse des fidèles de diverses nations réunis à Rome, le 17 mars 1866.

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