L'illusion libérale
XVIII
Les chrétiens ont pris à la société païenne ses armes et ses temples pour les transformer, non pour les détruire. Du temple ils ont expulsé l’idole ; à la force, ils ont imposé le droit. Cette folle pensée d’anéantir la force ne leur est pas même venue. La force se laisse déplacer, se laisse discipliner, se laisse sanctifier : qui se flattera de l’anéantir, et pourquoi donc l’anéantir ? Elle est une très-bonne chose ; elle est un don de Dieu, un caractère de Dieu. Ego sum fortissimus Deus patris tui[14].
[14] Genèse, XLVI, 3.
Comme le droit est par lui-même une force, la force par elle-même peut être un droit. Le genre humain et l’Église reconnaissent un droit de la guerre. De ce fer qu’il ôtait à la force barbare, le christianisme a fait des cuirasses pour les faibles, de nobles épées dont il a armé le droit. La force aux mains de l’Église est la force du droit, et nous ne voulons pas que le droit demeure sans force. La force à sa place et faisant son office, voilà l’état régulier.
Parce que dans le monde présent la force n’est pas partout à sa place, c’est-à-dire à la disposition de l’Église ; parce que loin de servir le droit, elle abuse contre le droit, conclurons-nous avec les illuminés qui décrètent, les uns l’anéantissement de la force, les autres que le droit suprême n’aura plus jamais la force en main, de peur qu’il ne vienne à gêner la liberté qui veut détruire la vérité ?
Il faudrait, au contraire, donner avec joie tout autre sang pour remettre la force dans son rôle légitime, pour l’attacker au seul service du droit.
La force doit protéger, affermir, venger le plus grand, le plus illustre, le plus nécessaire droit de l’homme, qui est de connaître et de servir Dieu ; elle doit mettre l’Église à même de dispenser ce droit à tout homme sur la terre. N’abandonnons pas cette vérité que le catholicisme libéral jette et noie dans le courant, avec tant d’autres.