L'illusion libérale
XIX
Elle est indigne, cette suggestion de suivre le courant ; elle révolte même le simple honneur humain, et c’est un trait de ce temps-ci qu’on la puisse tenter sur des hommes qui ont été marqués du saint chrême ! Imaginons qu’un roi renversé du trône, seul et dernier espoir de la patrie conquise, vient tout à coup déclarer qu’il s’estime justement détrôné et qu’il n’aspire qu’à jouir de ses biens particuliers, suivant le droit commun, sous la protection des déprédateurs de son peuple : voyez-vous l’immense avilissement de ce malheureux ! Cependant ce ne serait rien en comparaison de ce que l’on nous propose.
Ce roi imaginaire ferait une ignominie gratuite. On ne le voudrait pas croire. Ceux à qui il offrirait de vendre ses droits et son honneur lui diraient : Allons donc ! Tu es roi…
Nous ferions pire, et par cette raison l’on nous croirait moins encore. J’ajoute que l’on aurait grandement raison de ne nous croire pas. Comme autrefois parmi les jureurs de la constitution civile du clergé, il y aurait parmi nous des repentants et des rétractants. Or, les catholiques qui demeureraient ou redeviendraient simplement catholiques, feraient douter de la sincérité de ceux qui voudraient rester libéraux. Quel parti prendraient ces derniers, entre les orthodoxes qui leur jetteraient l’anathème et les incrédules qui leur réclameraient des garanties ? Voilà une éventualité certaine dont ils doivent se préoccuper. Si les catholiques libéraux se rattachent au groupe fidèle, s’ils se soumettent à l’enseignement de l’Église qui affirme ses droits sur le monde, ils n’ont rien fait. S’ils fournissent les garanties qu’on exige d’eux dans l’autre camp, ils se séparent, ils trouvent bon que la liberté impose silence aux dissidents, ils donnent les mains à la persécution, ils sont du même coup apostats de l’Église et apostats de la liberté.
Ils peuvent compter qu’ils n’échapperont pas à l’un ou à l’autre de ces termes :
Libéraux pénitents, — ou catholiques impénitents.