L'illusion libérale
VI
Plaçons-nous à la porte d’une église ; parmi les fidèles qui viennent d’entendre la messe, rassemblons une cinquantaine d’hommes au hasard, puis remontons à vingt-cinq ou trente ans : nous trouverons que la plupart de ceux que nous venons de réunir, ou n’étaient pas hommes il y a trente ans, ou erraient en dehors de la vérité. C’est à peu près le cas de tous les vivants. En langage chrétien nous pouvons dire du plus grand nombre des hommes, ou qu’ils ne sont pas même nés, ou qu’ils sont déjà morts et ne servent plus qu’à communiquer la mort.
Cela, cette multitude d’enfants, de larves et de cadavres, c’est l’humanité vieillie et majeure, perfectionnée et parfaite ! Elle est désormais en pleine puissance de raison, de lumière, de justice, capable enfin de se gouverner elle-même. Et si Dieu prétend la gouverner encore, alors ce sera avec plus d’égards que dans le passé, par des lois qu’il lui inspirera directement ou qu’elle saura bien trouver sans lui, et dont, en tout cas, sa vieille Église n’a point le secret.
Les Pères ont bien dit que l’Église est invieillissable, Ecclesia insenescibilis ; mais les Pères eux-mêmes sont vieux et l’Église a vieilli ; elle est caduque. Le Saint-Esprit, — qui ne pense pas plus ce qu’il pensait autrefois, — ne révèle plus à l’Église ce qu’il pense ; elle ne le sait plus ! Donc le Saint-Esprit a changé de voie ; donc le Dieu éternel est devenu autre, comme autre est devenue l’humanité, à qui ses anciennes directions ne peuvent plus servir.
Le libéralisme catholique adopte implicitement cette vue plus que protestante sur la vitalité des Saintes Écritures, sur leur inspiration et sur leur interprétation par l’Église. Il nous propose d’engloutir ces impertinences, si nous ne voulons voir le genre humain se retirer de nous. Et il donne l’exemple, il se retire. Mais, en se séparant, c’est l’Église qu’il accuse de se séparer. Nouveau trait d’hérétique.