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L'illusion libérale

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XXXV

Placé devant l’impossible, il est superflu de scruter l’impraticable. Je n’entreprends pas de montrer à l’Église catholique libérale les insurmontables difficultés de son installation. Je paraîtrais outrager le sens commun, et les éventualités qu’il faudrait prévoir comme les souvenirs qu’il faudrait évoquer jetteraient sur ces pages une teinte contre laquelle protestent également la gravité du sujet et la sincérité des hommes que je combats. J’indique seulement les divisions qui éclateraient dans ces églises affranchies ; les luttes qu’il faudrait immédiatement et toujours subir contre les dissidents, lesquels ne tiendraient pas plus compte des excommunications que le Gouvernement lui-même, et plaideraient pour s’emparer des édifices religieux. On en serait bientôt à demander à l’État, comme les Protestants viennent de le faire, une constitution civile qui l’instituerait promptement pontife et régulateur de la foi. C’est alors que les articles organiques se multiplieraient ! Regardons seulement ce qui se passe présentement en Suisse, où le digne et saint Évêque de Bâle, persécuté du Gouvernement, est plus grièvement encore persécuté d’une partie de son peuple, qui se pique de lui enseigner la tolérance. Nous avons là le libéralisme catholique en action. Assurément, c’est tout ce qu’il y a de plus odieux, de plus révoltant et de plus ridicule. Mais, dans le système libéral, quel remède y trouve-t-on ? Ou l’État, fidèle à son rôle, ne se mêle point d’apaiser les dissensions qu’il suscite, et l’évêque est obligé soit de pactiser, soit de fuir, et le peuple fidèle est opprimé par les factieux ; ou l’État intervient, parce que tel est son bon plaisir, et lors il stipule en maître et en maître ennemi. Voilà donc un pontife non seulement laïc, mais hérétique, mais athée… Je laisse à penser si cette conséquence se ferait longtemps attendre parmi nous.

Je dirais volontiers que le catholicisme libéral est une erreur de riche. Elle ne pouvait venir à l’esprit d’un homme qui aurait vécu parmi le peuple et qui verrait les difficultés sans nombre que la vérité, surtout aujourd’hui, éprouve à descendre et à se maintenir dans ces profondeurs où elle a besoin de toutes les protections, mais plus particulièrement de l’exemple d’en haut. Le peuple attache une idée de mérite intellectuel à la situation, à la force, au commandement. L’inférieur se laissera difficilement persuader qu’il doit être chrétien quand son supérieur ne l’est pas. Et le supérieur lui-même a quelque chose de cette idée, car l’élévation morale de son inférieur le désoblige, l’irrite et lui devient promptement odieuse. De là le zèle non moins ardent qu’insensé et coupable avec lequel tant de misérables travaillent à détruire la religion dans l’âme de leurs subordonnés. Que l’État cesse de pratiquer officiellement le culte, qu’il rompe, qu’il cesse de prendre part aux cérémonies, que cela se dise et se voie : ce serait déjà une persécution, et il n’y en aurait pas de plus dangereuse, peut-être. On s’en apercevrait peu immédiatement dans les villes ; les riches, pendant un temps, ne s’en apercevraient pas du tout ; mais dans les campagnes ce serait un fait immense et désastreux. Je ne dis rien des autres conséquences de l’athéisme de l’État ; je me tiens aux seuls effets de l’exemple. Qu’on en calcule la portée dans un pays qui a été catholique durant tant de siècles, et où le baudrier du gendarme commence à être plus sacré pour la foule que l’étole du curé.

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