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La Révolution russe : $b sa portée mondiale

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VI

Les peuples d’Occident, comme partout ailleurs, se soumettaient à leurs maîtres afin d’éviter les tribulations et le mal que comporte la lutte. C’est seulement lorsque l’oppression leur devenait trop lourde, que les peuples, tout en reconnaissant la nécessité du pouvoir, se mettaient à le combattre. Ceux qui prenaient part à la lutte étaient d’abord peu nombreux ; mais, devant l’insuccès des efforts des premiers combattants, d’autres se joignaient à eux, et leur nombre croissait de plus en plus. Et en voici le résultat : au lieu de se libérer des maux qu’engendrait le pouvoir, la plupart des hommes de ces pays prirent part à ce même pouvoir dont ils voulaient s’affranchir.

Il arriva ce qui devait arriver : la perversion, propre au pouvoir, s’est répandue non pas parmi un petit nombre comme cela a lieu sous le régime d’un gouvernement personnel, mais bien parmi tous les membres de la société. (Aujourd’hui, on s’emploie à ce que les femmes subissent la même perversion.)

Sous le régime parlementaire et du suffrage universel, chaque député commence sa carrière par la subornation, l’enivrement des électeurs, les promesses qu’il sait ne pouvoir tenir, et, siégeant à la Chambre, il participe à la confection des lois qu’on fait appliquer par la force. Il en est de même des sénateurs, des présidents.

Les places au Parlement sont cotées ; il est des hommes d’affaires qui négocient cette opération financière entre les candidats et les électeurs. La même corruption caractérise l’élection d’un président de République. L’élection du président des États-Unis coûte des millions aux brasseurs d’affaires qui escomptent l’élection de leur candidat en vue des profits qu’ils tireront de tel ou tel système d’impôt ou de l’exploitation de tel ou tel monopole, et ils regagnent en effet avec usure ce que leur avait coûté l’élection présidentielle.

Cette corruption foncière en entraîne bien d’autres : le penchant à éluder tout travail pénible, la jouissance des commodités et des plaisirs procurés par d’autres, les intérêts et les soucis d’État empêchant de s’occuper des classes laborieuses, la propagation des journaux remplis de mensonges et d’animosité ; enfin, et surtout, la haine entre peuples, classes, et individus. Cette corruption, progressant toujours, a atteint de notre temps un tel degré, que la lutte des uns contre les autres est devenue un phénomène général, et que la science — celle qui s’emploie à justifier toutes les vilenies — a proclamé que la lutte et la haine sont les conditions nécessaires et bienfaisantes de la vie humaine.

La paix qui, aux yeux des peuples antiques, apparaissait comme le bien suprême, — ils se congratulaient avec les paroles : paix à vous, — a disparu complètement parmi les peuples de l’Occident. Non seulement elle a disparu, mais les hommes cherchent à se convaincre que la mission de l’homme n’est pas dans la paix, mais dans la lutte de tous contre tous.

Effectivement, une lutte incessante, industrielle, commerciale, militaire y est menée : État contre État, classe contre classe, parti contre parti, ouvrier contre capitaliste, homme contre homme.

Il y a plus. La participation au pouvoir de tous les membres de la société eut encore ce résultat que les hommes, détournés chaque jour davantage du travail immédiat de la terre et prenant de plus en plus goût à l’existence parasitaire, perdirent aussi leur indépendance, et, par leur situation même, furent amenés à la nécessité de mener une vie immorale.

N’ayant ni l’habitude, ni le goût de subvenir à leurs besoins par le travail de la terre, les Occidentaux furent forcément obligés d’acquérir leurs moyens d’existence chez les autres nations. Or, ils ne pouvaient le faire que par deux moyens : la supercherie, c’est-à-dire l’échange d’objets pour la plupart inutiles et immoraux, tels que l’alcool, l’opium, les armes, contre des objets de première nécessité ; l’autre moyen est la violence, c’est-à-dire le pillage des peuples en Asie, en Afrique, partout où on sent la possibilité de piller impunément.

Dans cette nécessité se trouvent l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie, la France, les États-Unis, et surtout la Grande-Bretagne qui sert d’exemple et d’objet d’envie aux autres nations. Presque tous les hommes de ces pays, en devenant les participants conscients à la violence, dirigent tous leurs efforts et toute leur attention vers l’activité gouvernementale, industrielle et commerciale, ayant pour dessein principal la satisfaction des besoins de luxe ; et ils deviennent, soit par la pression directe, soit par l’argent, les dominateurs des peuples agricoles qui leur fournissent les objets de première nécessité.

Ils sont dans certains états la majorité, dans d’autres encore la minorité ; mais la proportion de ces hommes exploitant le travail des autres augmente avec une grande rapidité au détriment de ceux qui vivent de leur propre travail agricole si naturel. Il s’ensuit que la plupart des nations d’Occident ne peuvent plus subsister par leur travail agricole. Il leur faut, par la violence ou la tromperie, enlever les objets de subsistance aux peuples qui vivent encore par la culture de leur propre sol. Ce à quoi elles s’emploient en recourant, soit à la force brutale, soit à la corruption.

Il arrive dès lors que l’industrie, ayant principalement pour but le besoin des riches, et du plus riche de tous : le gouvernement, dirige ses efforts vers la culture approximative des grandes étendues de terre, à l’aide de machines ; vers la confection de la toilette féminine, des palais, bonbons, jouets, automobiles, tabacs, vins, médicaments, papier à lettres, canons, fusils, poudre, etc., etc.

Et, comme il ne peut y avoir de fin aux caprices des hommes lorsqu’ils exploitent le travail d’autrui, l’industrie se mit à fabriquer de plus en plus des objets inutiles, stupides et corrupteurs, tout en détournant les hommes du travail rationnel. Et nous ne voyons pas de fin à ces inventions pour le plaisir des oisifs, puisque, plus bêtes et plus immorales elles sont, — automobiles remplaçant les jambes d’hommes et les animaux, les funiculaires de montagnes, ou les automobiles blindées, — plus leurs auteurs et ceux qui en profitent sont contents et fiers.

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