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La Révolution russe : $b sa portée mondiale

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IV

La plupart des Russes n’appartenant pas aux classes laborieuses sont persuadés que le peuple ne saurait rien faire de mieux, pendant la crise actuelle, que de s’engager dans la voie qu’ont suivie et suivent encore les nations occidentales : combattre le gouvernement, limiter son pouvoir et élargir de plus en plus celui du peuple.

Cette conviction est-elle juste et cette activité est-elle rationnelle ?

Les nations d’Occident, engagées sur cette voie depuis des siècles, ont-elles atteint le but qu’elles poursuivaient ? Se sont-elles débarrassées de tous les maux dont elles souffraient ?

Ces nations, comme toutes les autres, commencèrent par se soumettre à toutes les exigences des autorités parce qu’elles préféraient la soumission à la lutte. Mais le pouvoir, en la personne des Charles-Quint, des Philippe, des Henri VIII, est parvenu à un tel degré de corruption que les peuples ne purent plus en supporter le poids. Aussi se révoltèrent-ils à plusieurs reprises contre leurs princes.

Cette lutte se manifestait en divers pays et à diverses époques, mais toujours et partout sous les mêmes aspects : guerres civiles, pillages, assassinats, supplices ; finalement, l’ancien gouvernement devait faire place à un nouveau. Lorsque celui-ci commençait à trop peser à son tour au peuple, il était également renversé et remplacé par un autre, lequel, par la perversité propre au pouvoir, se rendait aussi nuisible que le précédent.

En France, par exemple, il se produisit, en l’espace de soixante-dix ans, dix changements de gouvernement : les Bourbons, la Convention, le Directoire, le Consulat, l’Empire, encore les Bourbons, Louis-Philippe, de nouveau la République, de nouveau l’Empire, de nouveau la République. Les changements de régime s’effectuaient également parmi les autres peuples, quoique avec moins de brusquerie.

Ces successions de régime n’amélioraient généralement pas la situation des peuples, et les auteurs des révolutions ne pouvaient se défendre de l’idée que les maux proviennent moins de la nature des personnes revêtues du pouvoir que du fait de la domination d’un petit nombre sur la grande masse. C’est pourquoi ils cherchèrent à rendre le pouvoir inoffensif en limitant ses attributions. Et on l’obtenait par l’institution de corps élus où étaient représentées les diverses classes.

Mais les hommes appelés à siéger dans les assemblées et à limiter l’arbitraire du gouvernement, en détenant eux-mêmes l’autorité, subissaient à leur tour l’influence corruptrice du pouvoir ; collectivement ou séparément, ils faisaient le même mal et pesaient aussi lourdement sur le peuple que les souverains autocrates.

Pour y remédier et circonscrire davantage l’arbitraire, certains peuples firent disparaître presque entièrement le pouvoir monarchique, et établirent un gouvernement composé d’hommes élus par le suffrage universel. Par la suite, s’établit le régime républicain en France, en Amérique, en Suisse : d’où la possibilité pour chaque membre de la société d’intervenir et de participer à la confection des lois.

Tous ces changements ne firent que corrompre de plus en plus les citoyens de ces pays, en raison de leur participation au pouvoir et de la négligence de leurs occupations. Quant aux maux dont souffraient les peuples, ils ne continuaient pas moins à subsister, quel que fût le régime : monarchie constitutionnelle ou république, avec ou sans referendum.

Il n’en pouvait être autrement, car l’idée de limiter l’arbitraire du pouvoir en y faisant participer tous les hommes pèche par sa base même.

S’il est injuste qu’un seul homme, avec le concours de ses auxiliaires, puisse gouverner la collectivité entière et que son administration soit nuisible au peuple, il n’est pas douteux qu’il en sera de même lors de la domination de la minorité sur la majorité.

Mais le règne de la majorité sur la minorité ne garantit pas plus une administration équitable, car il n’y a aucune raison de croire que la majorité puisse être plus sensée que la minorité qui ne participe pas au gouvernement.

Quant à l’extension du droit de gouverner sur tous, — par le développement progressif du referendum et du droit d’initiative, — elle aboutirait simplement à ce que tout le monde lutterait contre tout le monde.

Le pouvoir d’un homme sur un autre, fondé sur la violence, est un mal dans sa source même. Aucune organisation ayant pour base la violence ne saurait empêcher le mal de demeurer un mal.

Il s’ensuit que dans tous les pays, quel que soit leur régime, despotique ou démocratique, les maux fondamentaux restent les mêmes : accroissement progressif et effrayant des budgets ; animosité envers les voisins suscitant les préparatifs à la guerre ; impôts et monopoles ; privation du peuple de son droit à la terre devenue propriété privée ; nationalités opprimées ; enfin, guerre fauchant et corrompant de nombreuses vies humaines.

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