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La Révolution russe : $b sa portée mondiale

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V

Certes, les régimes représentatifs de l’Europe occidentale et de l’Amérique, tant monarchie constitutionnelle que république, ont supprimé certains abus des autorités, rendu impossible l’existence de monstres, tels que les Louis, les Charles, les Henri, les Ivan.

(Il est vrai que sous un régime représentatif le pouvoir peut être détenu par des hommes insignifiants, rusés, immoraux et intrigants, mais l’organisation politique actuelle est telle, que seuls des hommes de cette catégorie peuvent accéder au pouvoir.)

Le régime parlementaire a supprimé sans doute des abus : par exemple les lettres de cachet, les persécutions religieuses ; il a soumis l’impôt à l’examen des représentants du peuple, rendu publics les actes du gouvernement, concouru au perfectionnement technique de l’industrie, facilitant ainsi la vie aux riches et ajoutant plus de puissance militaire à l’État.

De sorte que, grâce à cet ordre de choses, les nations sont devenues incontestablement plus puissantes dans l’industrie, le commerce et l’art militaire que ne le sont celles où subsiste le régime despotique, et la vie des classes privilégiées fut rendue plus assurée, plus commode, agréable et belle qu’auparavant.

Mais la vie de la majorité de ces nations est-elle devenue mieux assurée, plus libre, et surtout plus rationnelle et morale ?

J’estime que non.

Sous le régime du pouvoir personnel, le nombre de ceux qui sont pervertis par la participation au pouvoir et par leur existence parasitaire est limité ; il comprend les proches, les conseillers et les courtisans du maître. La cour des souverains est l’unique foyer des contagions immorales d’où elles rayonnent de tous côtés. Tandis que, sous le régime constitutionnel, le nombre de ces foyers augmente, car chacun des participants au pouvoir a ses amis, auxiliaires, courtisans, ainsi que des descendants.

Enfin, sous le régime du suffrage universel, le nombre de ces centres de contagion se multiplie davantage encore. Chaque électeur est l’objet de flatterie et de subornation. Le caractère de la domination se modifie également : au lieu de reposer sur la violence directe, elle a pour base l’argent, ce qui est encore la violence, mais par transmission complexe.

Le nombre des hommes oisifs vivant du produit des travailleurs se multiplie donc ; une classe se forme, appelée bourgeoisie, qui, sous la protection de la force, mène une vie facile et agréable, exempte de tout travail pénible.

Étant donné qu’il faut — pour organiser une pareille existence pour des milliers de roitelets remplaçant un seul souverain — une grande quantité d’objets enjolivant et égayant leur vie de fête, à chaque passage du régime despotique au régime représentatif surgissent des inventions facilitant la production d’objets de plaisir et de sécurité pour les classes fortunées.

Or, la fabrication de ces objets détache de plus en plus les ouvriers du travail des champs. Ainsi se forme la classe des ouvriers de ville, qui, en raison de leur situation précaire, tombent sous la complète dépendance des classes aisées.

A mesure que le régime parlementaire se prolonge, le nombre des travailleurs de ville augmente et leur situation empire. Aux États-Unis, sur soixante-dix millions d’habitants, on compte dix millions de prolétaires. La même proportion est observée en Angleterre, en Belgique, en France.

On voit par là que le nombre de ceux qui abandonnent le travail produisant les objets de première nécessité, pour fabriquer les objets de luxe, croît progressivement dans ces États.

Il est donc clair que cette situation rend de plus en plus pénible la vie des hommes qui sont forcés d’assurer le luxe aux oisifs dont le nombre grandit sans cesse. Il est évident qu’une pareille vie sociale ne saurait durer.

Il se produit ici un phénomène qui pourrait être comparé à ce qui se passerait chez un homme dont le torse augmenterait de plus en plus, tandis que ses jambes deviendraient de plus en plus grêles : les jambes ne pourraient plus supporter le poids du torse.

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