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La Révolution russe : $b sa portée mondiale

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XII

« Mais une vie sociale est-elle possible sans autorité ? Si les hommes n’étaient pas retenus par la surveillance du pouvoir public, le vol et le brigandage régneraient partout », objectent ceux qui ne croient qu’en la vertu des lois humaines.

Ils sont sincèrement convaincus que les hommes se retiennent de commettre des crimes et observent l’ordre uniquement parce qu’il existe des lois, des tribunaux, une police, une administration, une armée, un gouvernement, et que sans eux la vie sociale serait impossible. A leur tour, les hommes corrompus par le pouvoir croient que les crimes commis dans leur pays étant punis par le gouvernement, ces châtiments empêchent les hommes d’en commettre de nouveaux.

Mais ces châtiments ne sauraient nullement prouver que tribunaux, police, armée, prisons et potences mettent des obstacles à l’accomplissement de tous les crimes qui pourraient être commis. Le fait que le nombre de crimes ne dépend nullement des mesures pénales du gouvernement est démontré avec une entière évidence par la vanité de ces mesures qui ne peuvent arrêter les actes criminels les plus audacieux et les plus cruels lorsque l’esprit de désordre règne dans la société, comme cela a eu lieu pendant toutes les révolutions et comme cela se produit aujourd’hui en Russie avec une acuité particulière.

La criminalité n’est pas aussi grande qu’elle pourrait l’être, parce que la masse populaire, celle qui travaille, s’abstient d’actes criminels et mène une bonne vie ; cela non pas parce qu’il y a une police, une armée, des juges, mais parce qu’il existe une conscience morale commune à la plupart des hommes et qui tire son origine de la conception religieuse commune qui pénètre partout grâce à l’éducation, à l’opinion publique, aux usages.

Seule, cette conscience, manifestée par l’opinion publique, empêche l’accomplissement des actes criminels, dans les villes et surtout à la campagne où vit la majorité de la population.

J’ai parlé des communautés agricoles qui s’étaient installées en Extrême-Orient et y vécurent heureuses pendant un grand nombre d’années. Elles étaient inconnues du gouvernement et demeuraient en dehors de son action ; et, lorsqu’elles furent découvertes par les agents de celui-ci, le profit qu’elles en tirèrent fut l’apparition parmi elles de nouvelles misères et l’accroissement du penchant au crime.

De fait, l’activité gouvernementale abaisse le niveau de la société, et, par là même, accroît la criminalité. Il ne peut pas en être autrement, puisque, par sa mission, le gouvernement doit substituer à la loi suprême, éternelle, obligatoire pour tous et écrite non dans les livres, mais dans les cœurs des hommes, leurs lois à eux ayant pour but, non la justice ni le bien commun, mais des considérations politiques, intérieures et extérieures, le plus souvent injustes.

Les lois fondamentales, nettement iniques, sont notamment le droit exclusif d’une minorité sur la terre, qui est un bien commun ; le droit des uns sur le travail des autres ; le devoir de fournir de l’argent pour perpétrer des assassinats, ou l’obligation de s’enrôler et de guerroyer ; le monopole sur le poison-tabac ; la défense d’échanger les produits du travail après une certaine limite appelée frontière ; le droit de châtier pour des actes non immoraux, mais qui sont contraires aux intérêts des dirigeants.

Toutes ces lois et tous ces règlements, qu’on doit observer sous peine des plus sévères punitions, abaissent inévitablement le niveau de la conscience sociale.

On ne saurait donc imaginer une action plus démoralisatrice sur le peuple que celle qui caractérise, et a toujours caractérisé, tous les gouvernements.

Jamais aucun scélérat n’aurait pu avoir l’idée de commettre des actes horribles tels que les autodafés, l’inquisition, les tortures, les pillages, les écartèlements, les pendaisons, les emprisonnements cellulaires, les meurtres pendant les guerres, et tant d’autres violences qu’ont toujours accomplies et accomplissent avec solennité tous les gouvernements. Toutes les horreurs de la Jacquerie, celles des chefs de brigands Stegnka Razine, ou Pougatchev et d’autres ne sont que des conséquences ou de faibles imitations des horreurs des Ivan, des Pierre, des Biron, et qui se commettent également partout ailleurs.

Si même l’action gouvernementale empêche des dizaines d’hommes de se livrer à des actes criminels, — ce qui est douteux, — des centaines de mille de forfaits sont commis uniquement parce que les hommes sont élevés dans une atmosphère de crime, d’injustice et de cruauté gouvernementale.

Les industriels, les commerçants, les habitants des villes en général, qui jouissent plus ou moins des avantages qu’assure l’autorité, ont encore quelque raison de croire à l’utilité de celle-ci. Mais les agriculteurs voient qu’elle ne leur cause que des souffrances et des misères, tandis qu’ils n’en ont jamais aperçu la nécessité et se sont, au contraire, rendu compte qu’elle pervertit ceux parmi eux qui tombent sous son influence.

Chercher à démontrer que les hommes ne peuvent vivre sans gouvernement et que le mal que peuvent leur faire les voleurs et les brigands est plus grand que celui, moral et matériel, causé par le gouvernement, est aussi étrange que furent, au temps de l’esclavage, les tentatives de démontrer aux esclaves qu’il leur était plus profitable d’être des esclaves que des hommes libres. Mais, de même qu’alors les maîtres démontraient et suggéraient aux esclaves qu’ils avaient tout avantage à l’être et que leur situation serait pire s’ils étaient libres (souvent les esclaves y croyaient), les gouvernants d’aujourd’hui démontrent que l’autorité est nécessaire, et les gouvernés sont influencés par cette suggestion.

Ces derniers sont bien obligés de croire ceux-là, parce qu’ayant méconnu la loi divine, il ne leur reste plus que les lois humaines. Pour eux, l’absence de ces lois est l’absence de toute loi ; la vie des hommes qui ne reconnaissent aucune loi leur semble horrible, parce que l’absence d’autorité humaine ne peut pas ne pas les effrayer, et ils refusent de s’en séparer.

Il résulte de la même méconnaissance de la loi de Dieu ce phénomène étrange, ou paraissant tel, que tous les théoriciens anarchistes, hommes érudits et intelligents, depuis Bakounine et Prudhon jusqu’à Reclus, Max Stirner et Kropotkine, démontrent irréfutablement l’illogisme et la nocivité du pouvoir et que, cependant dès qu’ils se mettent à parler de l’organisation de la vie sociale en dehors des lois humaines qu’ils nient, ils tombent dans le vague, la loquacité, l’éloquence, se lancent dans des conjectures les plus fantaisistes.

Cela provient de ce que tous ces théoriciens anarchistes méconnaissent la loi divine commune à tous les hommes, puisqu’en dehors de la soumission à une seule et même loi, humaine ou divine, aucune société ne saurait exister.

Il n’est possible de se libérer de la loi humaine que sous condition de la reconnaissance de la loi divine commune à tous.

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