La Révolution russe : $b sa portée mondiale
XI
Il nous arrive souvent d’entendre et de lire les arguments sur les causes de la situation précaire et pleine de danger de toutes les nations chrétiennes, ainsi que de celle au milieu de laquelle se débat aujourd’hui le peuple russe, affolé et rendu féroce en certaines de ses parties.
Les causes qu’on met en avant sont les plus diverses. En réalité, elles peuvent être réduites à une seule. Les hommes ont oublié Dieu, c’est-à-dire ils ont oublié leurs rapports envers le Principe infini de la vie, ont oublié la mission qui en découle pour chacun : l’accomplissement — pour sa propre satisfaction, pour la satisfaction de l’âme — de la loi instituée par ce Principe-Dieu.
On l’a oublié parce que les uns s’étaient reconnu le droit de dominer par la contrainte, tandis que les autres avaient consenti à leur obéir et à participer à leur administration. Dès lors, les uns et les autres ont renié par cela même Dieu et ont remplacé sa loi par celle des hommes.
Dès qu’elle a oublié le rapport envers l’Être infini, la masse des hommes est descendue au degré le plus bas de la conscience, où il n’a pour guide que ses passions bestiales et la suggestion moutonnière, et cela malgré toute la subtilité de ses travaux intellectuels.
C’est là l’origine de tout son malheur.
Le remède n’est donc qu’en ceci : le rétablissement dans la conscience des hommes de leur dépendance de Dieu et de leur attitude raisonnée et libre envers eux-mêmes et envers le prochain qui découle de cette conscience.
C’est bien cette soumission consciente à Dieu et, par suite, la disparition du péché d’autorité, qui pourrait guérir aujourd’hui tous les peuples de leurs maux.
La possibilité et la nécessité de ne plus obéir à l’autorité humaine, mais de revenir à la loi divine sont senties vaguement par tous les hommes, et, en cet instant, avec une vivacité toute particulière par le peuple russe. C’est bien cette vague conscience qui est le fond du mouvement actuel en Russie.
Ce qui s’y accomplit aujourd’hui n’est pas, comme beaucoup se l’imaginent, un soulèvement populaire contre le gouvernement dans le but de le remplacer par un autre, mais quelque chose de bien plus grand et de plus significatif. Ce qui fait mouvoir aujourd’hui les Russes, c’est le vague sentiment de l’illégitimité, de l’irrationnalité de toute violence, de la possibilité et de la nécessité d’organiser une vie fondée non sur un pouvoir de contrainte, comme il l’a été jusqu’ici dans tous les pays, mais sur le consentement libre, raisonné.
Le peuple russe accomplira-t-il cette grande œuvre, ou bien, s’engageant à la suite des peuples occidentaux, laissera-t-il à un autre peuple oriental le bonheur d’être le guide de l’humanité dans l’œuvre de son affranchissement ? Il est certain, en tous cas, que tous les peuples commencent aujourd’hui à percevoir de plus en plus nettement la possibilité de la substitution à la vie de folie et de violence d’une vie libre, raisonnée et bonne.
Or, ce qui pénètre dans la conscience se réalise inévitablement. La conscience des hommes est la manifestation de la volonté divine ; et la volonté divine doit s’accomplir, ne peut pas ne pas s’accomplir.