La Révolution russe : $b sa portée mondiale
II
Depuis les temps immémoriaux et chez tous les peuples de la terre, les rapports entre dirigeants et dirigés ont donc eu la violence pour base. Mais ces rapports, comme tout ici-bas, changent constamment, et cela pour deux raisons : premièrement, parce que les oisifs qui détiennent le pouvoir se pervertissent à mesure que leur pouvoir se prolonge, deviennent insensés et cruels et leurs exigences sont de plus en plus nuisibles à leurs subordonnés ; deuxièmement, parce que la folie de la soumission aux maîtres pervertis apparaît de plus en plus marquée aux opprimés.
Quant aux maîtres, ils se pervertissent toujours : d’abord parce qu’ils sont immoraux, et cela par le fait même qu’ils préfèrent l’oisiveté et la violence au travail ; puis, en mettant leur puissance au service de leurs passions et de leurs vices, ils peuvent s’y adonner de plus en plus ; enfin, tandis que les simples mortels rencontrent des obstacles à leurs penchants vicieux, les maîtres n’en rencontrent aucun, et, loin d’en être blâmés, en sont couverts d’éloges par leurs courtisans. Car le plus souvent ceux-ci tirent profit de la folie de leurs maîtres, et il leur est en même temps agréable de penser que les vertus et la sagesse, commandant le respect aux hommes sensés, sont attribuées à ceux à qui ils se soumettent ; c’est pourquoi les vices des dirigeants, vantés comme des vertus, se développent dans des proportions monstrueuses.
C’est bien là la cause qui a entraîné les chefs couronnés ou non couronnés jusqu’à la limite extrême de la folie et du vice qu’ont atteinte les Néron, les Charles, les Henri, les Louis, les Ivan, les Pierre, les Catherine, les Marat.
Mais il y a autre chose. Si les chefs se contentaient d’être débauchés personnellement, ils ne seraient pas si nuisibles. Mais les débauchés oisifs et blasés, tels que sont généralement les dirigeants, ont besoin d’un but dans la vie qu’ils cherchent à atteindre. Or, ce but ne peut être que l’accroissement de leur gloire.
Dans toutes les autres passions, la limite de la satiété est vite atteinte ; seule, la passion de la gloire est illimitée, et c’est pourquoi tous les dirigeants ont toujours ambitionné la gloire, principalement militaire, comme l’unique passion où les hommes débauchés et blasés peuvent toujours trouver de nouvelles jouissances.
Or, pour entreprendre une guerre, il faut de l’argent, des soldats et surtout une possibilité de carnage. C’est ce qui rend la situation des soumis de plus en plus pénible. Finalement elle arrive à un degré si aigu qu’ils ne peuvent plus supporter le poids du pouvoir et cherchent à modifier leurs rapports envers lui.