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La Révolution russe : $b sa portée mondiale

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L’UNIQUE SOLUTION POSSIBLE
DE LA
QUESTION AGRAIRE

I

Le droit exclusif sur la terre des uns privant les autres de la possibilité d’en jouir, est une iniquité aussi cruelle et aussi nuisible pour tous que l’était en son temps le droit de posséder des serfs.

Instinctivement consciente chez tous les hommes, cette iniquité était surtout et, de tout temps, ressentie par le monde rural de Russie. Ce sentiment est plus vivace que jamais en ces jours de révolution, et c’est vers son abolition que tendent actuellement tous les souhaits et toutes les revendications du peuple russe.

Les cercles gouvernementaux autant que les groupements anti-gouvernementaux sont occupés aujourd’hui à rechercher les moyens de donner satisfaction à ces demandes.

Malheureusement, les uns et les autres ont généralement en vue leurs buts particuliers de parti et non ce qui doit être leur but unique, prédominant : le rétablissement de la justice.

Les uns espèrent répondre aux revendications du peuple en ajoutant au lot de chaque paysan une part prise sur les terrains d’État et une partie des apanages impériaux.

Les autres proposent de faciliter aux paysans, par l’intermédiaire de la Banque agricole, l’achat des propriétés foncières mises en vente.

Les troisièmes voient le remède dans l’émigration des paysans qui manquent de terres dans des régions où de vastes terrains demeurent inoccupés.

Les quatrièmes veulent établir le fermage obligatoire et héréditaire.

Les cinquièmes préconisent l’expropriation des terres appartenant à la couronne, aux apanages, aux couvents, aux propriétaires fonciers, et en constituer une réserve pour la distribution des terrains aux paysans.

Les sixièmes s’appliquent à prouver la nécessité de la nationalisation du sol, qui serait la préface d’une organisation socialiste.

Les septièmes, enfin, aperçoivent le remède dans la reconnaissance de toute la terre comme propriété des seuls agriculteurs.

Toutes ces propositions se divisent en réalité en deux catégories : celle des gouvernementaux et des conservateurs qui voudraient résoudre la question agraire sans que cela modifie sensiblement leur situation privilégiée, tout en apaisant, grâce à quelques concessions, l’agitation populaire ; celle des révolutionnaires, qui visent un but tout opposé : l’accroissement de l’effervescence chez le peuple et son entraînement à l’action révolutionnaire qu’ils considèrent comme la plus utile au bien commun.

Jusqu’ici, les révolutionnaires atteignent de mieux en mieux leur but. Sous l’influence de leur propagande verbale ou écrite, le peuple se rend compte chaque jour davantage de l’iniquité, si ancienne et si lourde, qui pèse sur lui, celle de la spoliation de son droit de jouir de la terre.

Voyant que le gouvernement ne se soucie pas de faire disparaître cette iniquité, s’en persuadant plus encore après la dissolution de la Douma, le peuple s’irrite de plus en plus et il est tout prêt à commettre, commet déjà, des actes les plus cruels pour se venger de l’injustice dont il souffre depuis si longtemps.

Le peuple sent qu’au moment où tout change en Russie, il ne peut et ne doit demeurer davantage dans sa situation précaire. D’autre part, il ne saurait se contenter des mesures de circonstances, des palliatifs, tels que l’achat des terres par l’intermédiaire des banques, l’expropriation forcée, la colonisation, le fermage ou la constitution des réserves de terre. Il veut un changement radical du système agraire actuel, changement à la suite duquel il ne serait plus permis aux uns de ne pas travailler la terre et d’empêcher en même temps les travailleurs de la cultiver, tels des chiens gardant le foin qu’ils ne mangent pas eux-mêmes. Le peuple veut que tous les hommes aient la faculté égale de jouir de tous les profits et avantages que procure la terre.

Et le peuple a parfaitement raison de formuler cette revendication. Là où il a tort, c’est lorsqu’il s’imagine, influencé qu’il est par des hommes peu sérieux et égarés, que pour instituer le droit égal pour tous à la terre, il suffit d’enlever les propriétés foncières aux possédants et de les partager entre les cultivateurs qui travaillent de leurs bras.

Comment partager la terre expropriée ?

Quelle part reviendra à telle communauté ?

Comment distribuer les terres les plus fertiles, les prairies, les forêts ?

Que faire des petits propriétaires ?

Que faire des hommes qui ne possèdent pas de terre et qui désirent pourtant avoir leur part ?

En cas d’une trop grande densité de population, qui doit émigrer et où aller ?

Toutes ces questions ne peuvent être résolues par aucune Commission ; elles ne peuvent que susciter des discussions, des querelles sans fin et, surtout, donner naissance à des iniquités pires que celles d’aujourd’hui.

Les paysans, occupés par leurs intérêts locaux, ne s’en aperçoivent pas et ne peuvent s’en apercevoir. Mais les hommes qui se considèrent comme appelés à résoudre ce problème au point de vue de l’équité générale devraient s’en rendre compte.

Or, la solution du problème agraire, au point de vue général, n’est aucunement dans l’expropriation forcée des uns et la distribution des terres aux autres ; elle n’est pas dans la disposition arbitraire de terrains, mais uniquement en ceci : l’abolition complète de la vieille propriété foncière qui est l’origine de toutes les oppressions et de la haine entre les hommes.

Pour résoudre la question agraire, il importe donc avant tout de rétablir le droit naturel de tous les hommes à la terre et le droit de chacun au produit de son travail.

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