La Révolution russe : $b sa portée mondiale
XVII
« Si vous n’êtes pas comme des enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume de Dieu. » Cette parole évangélique vise non seulement les individus, mais aussi les sociétés. De même qu’un individu, ayant souffert par ses passions et les tentations de la vie, revient consciemment à l’état simple d’affection pour tous, état dans lequel se trouvent inconsciemment les enfants, et y revient avec toute l’expérience et l’acquis intellectuel de l’adulte, les sociétés, ayant éprouvé toutes les conséquences malheureuses de l’oubli de la loi divine et de l’obéissance à la loi humaine organisant leur vie en dehors du travail de la terre, doivent aujourd’hui, avec toute l’expérience acquise durant leurs errements, abandonner les tentatives d’existence fondée sur la production industrielle et revenir à la loi supérieure de Dieu et à la vie primitive des champs.
Cette indépendance consciente à l’égard de l’autorité humaine et la soumission à l’autorité divine signifient la reconnaissance comme obligatoire, partout et toujours, de la loi éternelle de Dieu, qui est la même dans toutes les doctrines religieuses.
Quant à la vie rurale, elle implique la reconnaissance du travail de la terre, non comme une condition provisoire de notre existence, mais comme une occupation toujours et partout préférée, parce qu’elle nous facilite le mieux l’accomplissement de la volonté divine.
Or, les peuples orientaux, et la Russie parmi eux, se trouvent dans les meilleures conditions pour revenir à cette nouvelle vie.
Les Occidentaux, qui se sont déjà engagés si loin sur la fausse voie des transformations politiques de régime, ayant toutes pour principe l’autorité et la substitution du travail industriel au travail agricole, ne sauraient revenir à la nouvelle vie qu’après de grands efforts. Mais, tôt ou tard, l’animosité qui grandit parmi eux et l’instabilité de leur situation les forceront bien à revenir à la véritable existence indépendante et rationnelle fondée sur leur propre travail et non sur l’exploitation des autres peuples.
Si séduisants que puissent paraître le progrès extérieur de l’industrie et la façade de la vie actuelle, les esprits les plus pénétrants de l’Occident montrent depuis longtemps à leurs nations la voie funeste qu’elles suivent et la nécessité de retourner à la vie agricole qui fut la forme primitive de la vie de toutes les sociétés et qui est faite pour procurer à tous une existence heureuse et rationnelle.
Les peuples orientaux, parmi lesquels le russe, n’ont besoin à cette fin de ne rien changer à leur existence ; il leur suffit de s’arrêter sur la voie fausse où ils viennent de s’engager et de manifester leur indépendance à l’égard du pouvoir, ainsi que leur prédilection pour l’agriculture qui fut toujours leur occupation naturelle.
Nous, les Orientaux, nous devons être reconnaissants à la destinée de nous avoir placés dans la situation qui nous permet de profiter de l’exemple des Occidentaux ; nous devons en profiter non pas pour l’imiter, mais au contraire pour éviter les fautes que les Occidentaux avaient commises ; nous ne devons pas nous avancer sur la voie funeste d’où nous les voyons déjà revenir à notre rencontre, eux qui s’y étaient aventurés si loin.
C’est bien dans cet arrêt de la marche sur la voie de l’erreur, ainsi que dans l’indication de la possibilité et de la nécessité de s’en frayer une autre, plus facile à suivre, plus joyeuse et plus naturelle à l’homme, qu’est la grande portée de la Révolution qui s’accomplit actuellement en Russie.