← Retour

La Révolution russe : $b sa portée mondiale

16px
100%

L’IMPOT UNIQUE
D’HENRY GEORGE[4]
SON APPLICATION URGENTE ET FACILE EN RUSSIE

[4] Ces pages, complétant les précédentes, ont servi de préface à la traduction des Problèmes sociaux de Henry George.

Dans un des derniers chapitres de son livre : Problèmes sociaux, Henry George dit : « Quiconque n’a pas pénétré le fond de la question, jugerait ridicule le fait que je vois dans ce simple changement du système d’impôts la plus grande révolution sociale.

« Mais celui qui a suivi le développement de ma pensée doit se rendre compte que, dans ce simple changement, réside la plus grande transformation sociale, transformation, ou révolution, au regard de laquelle ne sont rien ni la révolution qui a aboli l’ancien régime en France ni celle qui a supprimé l’esclavage aux États-Unis. »

C’est cette portée considérable de la révolution indiquée par Henry George qui demeure jusqu’ici incomprise des hommes.

La principale raison en est que sa pensée est travestie ou est passée sous silence. La plupart croient y déceler un système de changement des lois réglementant la propriété foncière, changement dans le sens de la nationalisation du sol comme l’entendent les socialistes.

Ceux qui se croient très savants objectent à l’idée de Henry George, comprise dans ce sens étroit, tantôt en lui attribuant ce qu’il n’a jamais dit, tantôt en lui opposant les axiomes, selon eux absolus, tirés de l’ordre des choses existant, et qui furent cependant réfutés d’une façon péremptoire par Henry George.

Les hommes du monde, les propriétaires fonciers, les opulents en général, n’ayant pas la moindre notion des théories de Henry George, mais se doutant vaguement qu’il veut, on ne sait comment, démunir la terre de ses possesseurs actuels, sentent, par instinct de conservation, le danger de sa théorie et nient tout simplement son caractère rationnel.

« Oui, je sais, disent-ils. Imposer la terre pour que les propriétaires, déjà écrasés par toutes sortes de taxes, paient encore l’impôt foncier. »

Ou bien : « Oui, je sais. Ce système consiste à faire payer aux propriétaires fonciers toutes les améliorations qu’ils auront introduites dans leurs propriétés. »

Et voilà trente ans, depuis l’exposition si claire, si probante et si fortement étayée, de cette grande idée, qu’elle demeure absolument ignorée de l’immense majorité des hommes.

Il ne pouvait en être autrement. De fait, cette idée, qui bouleverse toute la vie sociale de l’humanité pour le plus grand profit de la majorité opprimée et muette et au détriment de la minorité dominatrice, est exprimée sous une forme si convaincante et, surtout, si simple, qu’il est impossible de ne pas la comprendre.

Et une fois comprise, il est impossible de ne pas chercher à la réaliser. Pour avoir raison d’elle, il ne reste donc qu’à la déformer ou à la passer sous silence.

Voici plus de trente ans qu’on s’y emploie avec un tel succès qu’on a bien de la peine à décider les hommes à lire avec attention ce qu’a écrit Henry George, et à y réfléchir.

Certes, il existe en Angleterre, aux États-Unis, en Australie, en Allemagne, de petites revues consacrées à la question de l’Impôt unique et assez bien rédigées, mais elles sont fort peu répandues. Aussi, les idées de Henry George continuent-elles à demeurer ignorées parmi les classes cultivées du monde entier, et l’indifférence pour elles semble plutôt s’accroître.

La société résiste aux idées qui troublent sa quiétude, — et l’idée de Henry George est une de celles-là, — comme les abeilles se défendent contre les vers nuisibles qu’elles sont impuissantes à détruire : elles bouchent de résine les nids des vers et empêchent ainsi ces derniers de se propager et de faire du mal. Les sociétés européennes se comportent de même à l’égard des idées qu’elles jugent nuisibles pour l’ordre, ou plutôt pour le désordre, établi.

« Mais la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’absorbent point. » Une idée juste et féconde ne peut être déracinée. On a beau l’étouffer sous des pensées et des paroles creuses, obscures et prétentieuses, elle luit toujours, et, tôt ou tard, la vérité consume le voile qui la couvre et elle brille sur le monde entier. Il en sera ainsi de l’idée de Henry George.

Je crois bien que son heure est venue, et en Russie spécialement. L’heure est venue parce qu’il s’accomplit en ce moment en Russie une révolution qui est toute dans la négation de la propriété foncière par le peuple, par le vrai peuple ; l’heure est venue spécialement en Russie, parce que dans l’immense majorité de sa population a toujours vécu la même pensée que celle qui est à la base de la théorie de Henry George : la terre est un bien commun des hommes et elle seule, non le travail, peut être imposée.

Henry George dit encore que transmuer tous les impôts en un seul, frappant la valeur de la terre, c’est conformer les réformes sociales les plus importantes aux lois naturelles (a conforming of the most important adjustments to natural laws).

Il dit que l’idée de disposer de la valeur de la terre (la rente) au profit de toute la société est aussi naturelle pour un groupement que l’est pour l’individu le fait de marcher sur ses pieds et non sur ses mains.

Cette pensée a non seulement toujours été celle du monde rural en Russie, mais encore a été réalisée par lui tant qu’il n’en fut pas empêché par la contrainte gouvernementale.

Le statisticien Orlov écrivait vers 1870 ce qui suit sur la façon des paysans russes de se comporter à l’égard de la terre :

« Le mir[5] ne comprend ni ne distingue entre les divers impôts qui sont désignés dans les listes de contributions. Tous ces impôts, redevances et contributions payés par les communautés sont confondus, lors de leur répartition par le mir, en une somme globale qui est prélevée sur les membres de la communauté d’après le nombre des « âmes de taille » dont le chef de famille est le répondant. Une « âme de taille » représente, dans l’esprit du paysan, la possession d’un lot de terre. « L’âme de taille », d’après la conception particulière du paysan, est inséparable de la possession de la terre ; bien plus, le terme « âme » est synonyme de celui de « nadiel », c’est-à-dire équivaut à chaque lot faisant partie des terrains communaux et payant sa part de contributions collectives. Si à la demande concernant le nombre d’âmes qu’il représente, le chef du foyer répond qu’il est inscrit pour deux âmes, si un autre répond qu’il en représente trois, cela veut dire que le premier possède deux parts et le deuxième trois parts de la terre communale (du mir).

[5] Société rurale, ou assemblée des chefs de famille du village.

« Or, tous les impôts que doit payer la communauté d’après le rôle des impositions sont intimement liés au revenu global de la terre du mir, quelle que soit la dénomination ou la destination des taxes. »

Ces quelques lignes définissent l’idée fondamentale du peuple russe sur la possession de la terre et sur la portée des impôts ; et cette idée est précisément celle que préconise et répand Henry George.

Elle n’est pas dans une nouvelle répartition des terres, comme on se l’imagine généralement lorsqu’on caractérise les théories de Henry George, mais dans la garantie à chaque homme de l’intégrité du produit de son travail et dans la faculté égale de jouir de tous les revenus de la terre.

Telles sont les vues du peuple russe, tant sur le travail que sur le droit à la terre.

On comprend que les peuples d’Europe soient hostiles aux théories de Henry George, puisque leur réalisation détruirait entièrement l’ordre des choses établi, qui est favorable à la majeure partie des nations occidentales.

Mais, chez nous, en Russie, où les neuf dixièmes de la population appartiennent au monde rural et où cette théorie du penseur américain ne fait qu’exprimer ce qui a toujours été reconnu comme juste par tout le peuple russe, elle peut et doit trouver son application et terminer ainsi par un grand acte de justice la révolution qui a pris jusqu’ici une direction fausse et criminelle.

Chargement de la publicité...