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La Vallée du Silence

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CHAPITRE XIII
L’ÉVASION

Sur le moment Kent ne put proférer un mot.

— Vite, vite, préparez-vous ! lui dit Marette. Chut !… Silence !… Je vais…

Un bruit de pas l’interrompit net.

— Que faites-vous là, Mademoiselle ? demanda, de sa grosse voix, le constable Pelly.

Glacé de crainte, les doigts crispés contre le grillage du judas, Kent vit Marette Radisson reculer, entr’ouvrir son imperméable tout ruisselant et diriger sur Pelly le canon d’un revolver.

— Pas un mot, Pelly. Si vous appelez, je tire. Inutile de résister. Vos hommes sont en ce moment près de la digue, puisque vous m’avez crue tantôt. Avant que, des chambrées, on ait répondu à votre appel, il se passerait au moins deux minutes : il nous suffit d’une. Nous serions dehors et vous resteriez sur le carreau. Ouvrez donc cette porte.

— Je n’ai pas la clef.

— Où est-elle ?

— Je ne sais pas.

— Ne faites pas l’enfant. Elle est au bureau. Allons la prendre, puisque je vous dis que toute résistance serait inutile. Elle ne servirait qu’à vous faire tuer, ce que je regretterais toute ma vie.

La demi-minute durant laquelle Marette et Pelly disparurent fut pour Kent interminable. C’est alors qu’il comprit le sens des paroles de « Doigts-Sales » : « Cela réussira d’autant mieux que je ne vous aurai pas mis dans le secret ». En effet, aurait-il supporté l’idée que Marette exposât sa vie pour lui ? Jamais il n’y eût consenti.

— Oui, Pelly. C’est une situation bien pénible pour vous, disait Marette sans la moindre intention d’ironie. Ne parlez pas de déshonneur. Il serait stupide de vous laisser tuer. On vous excusera ; et vous saurez vous rendre utile encore.

Toujours sous la menace du revolver, Pelly ouvrit la cellule, dont Kent sortit aussitôt, mais décontenancé. Plus tard, quand il se rendit compte de toutes les pensées qui l’agitaient en ce moment dans son cerveau, il comprit que la joie de se sentir libre avait été dominante, mais il se souvint de s’être cru lui-même sous la menace du revolver de Marette. Son brave cœur s’était serré à la pensée de l’atroce humiliation de son camarade. L’esprit de corps était si puissant en lui qu’une seconde ou deux il s’était cru Pelly lui-même.

— Le plus dur pour vous n’est pas fini, Pelly, dit encore Marette. Il faut que vous preniez la place de Kent. Vous ne pourriez résister à la tentation de nous poursuivre, et le malheur arriverait.

Pelly poussa un soupir rauque. Il se carra devant la porte béante de la cellule, croisa les bras ; et, après avoir regardé froidement Kent et Marette, il dit d’une voix ferme :

— Tirez !

Marette fonça des deux poings sur la poitrine de Pelly, qui, ne s’attendant pas à ce choc, dans le raidissement de son corps, perdit l’équilibre et s’abattit à l’intérieur de la cellule.

Prestement, Marette referma la porte. Mais Pelly poussa un long cri d’alarme qui éveilla tous les échos de la caserne.

— Vite, vite… pas par le corridor… par la fenêtre du bureau, dit Marette entraînant Kent.

En traversant le bureau, Kent prit un revolver au râtelier. Il ouvrit violemment la fenêtre. Dehors, la nuit noire, la pluie en déluge : ils étaient sauvés.

Ils s’arrêtèrent seulement lorsqu’ils arrivèrent au sommet du tertre qui dominait la caserne.

Lui et elle durent s’asseoir pour reprendre haleine, car leur course folle les avait momentanément épuisés. Toutes les fenêtres de la caserne étaient maintenant illuminées.

— Voyez ce qu’ils font là-bas en notre honneur, dit Marette, sèchement, l’haleine courte.

— Savez-vous que j’avais envie moi-même de hurler, quand il a poussé ce cri, mais de hurler de joie. Être libre, Marette, être libre ! Où devons-nous rejoindre les gens de « Doigts-Sales » ?

— Comment ! Les gens de « Doigts-Sales » !… Le bavard vous aurait-il parlé ?

— Il ne m’a rien dit ; mais je suppose que…

— … que nous allons nous exposer à nous faire pincer par vos camarades en éveil ce soir ? C’est dans votre cellule que vous avez appris à raisonner de la sorte ! Mais d’où sortez-vous, c’est le cas de le dire !…

Elle lui poussa le coude en riant, et se relevant aussitôt, elle ajouta d’une voix mutine :

— Allons, debout, sergent Kent ! Obéissez-moi. Vous êtes sous mes ordres ce soir. Vous vouliez crier de joie. Et moi donc ! Je n’ai jamais été à pareille fête. Mais quelle pluie, grand Dieu ! Suivez-moi toujours.

Ils descendirent en grande hâte la pente opposée à la caserne, ils coupèrent la grand’route et longèrent, un quart de mille, la futaie de peupliers, ralentissant leur allure à cause des hautes herbes.

Jusqu’à ce moment la pensée de Kent s’était tout entière concentrée dans les minutes qu’il vivait. Dans la chambre de l’infirmerie et dans sa cellule, il avait supposé que Marette lui viendrait en aide, supposition vague, toute idéale et à laquelle il s’était laissé entraîner par un charme. Or une réalité qu’il n’aurait jamais osé concevoir, était brusquement survenue. Au moment où il commençait à désespérer, la porte de sa cellule s’ouvrait. Et c’était lui, Kent, James Kent, qui courait dans la nuit sous la pluie battante ! Il ne rêvait pas, et il lui semblait cependant vivre une chose impossible à imaginer. Un besoin mental de preuves décuplait ses forces physiques.

Mais, elle, où puisait-elle son énergie ?

Comment avait-elle pu s’intéresser à lui au point de risquer la mort pour le sauver ? Par cette question il retombait dans l’irréel. Elle fuyait devant lui, à longues et souples enjambées, et la pensée qu’elle ne serait jamais à lui, qu’elle lui échapperait comme un trop beau rêve, activait aussi l’ardeur de ses pas.

Elle s’arrêta à la lisière du bois de sapins.

— Plus besoin d’aller si vite, dit-elle, nous allons bientôt être à l’abri de la pluie et de tout importun. Mais ne nous attardons pas.

Sous les sapins régnait une obscurité complète. Marette était sûre de son chemin, car elle se dirigeait à travers les fourrés d’un même pas régulier et énergique. Kent avait perdu toute orientation, lorsqu’il aperçut une lumière dans les branchages.

La jeune fille, la découvrant aussi, alla plus vite.

— Toujours en avant !… dit-elle en se retournant vers Kent, nous allons y être.

Kent sentit alors sous ses pas le gravier d’un sentier. Il reconnut le chemin qui conduisait vers la demeure de Kedsty.

— Marette ! appela-t-il. Vous ne vous trompez pas ? C’est le bungalow de l’inspecteur !

— En êtes-vous bien sûr ? demanda-t-elle sans paraître troublée.

— Mais oui.

— Tant mieux, il sera enchanté de vous offrir des vêtements, car vous devez être tout trempé. Par ces temps d’orage, on se réfugie où l’on peut.

— Vous vous seriez donc entendue avec lui ? Car il me semble que c’est bien le dernier endroit où…

— C’est au contraire le seul où nous serons en sûreté.

— Comment donc ?

— Ah ! mon cher, dit-elle d’un ton moqueur, vous n’êtes pas encore au bout de vos surprises.

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