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La Vallée du Silence

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CHAPITRE XVII
LE COMBAT DE L’HONNEUR

— Marette ! Qu’est-il arrivé ?

— Kent, c’est vous ! Oh ! tenez, voilà… voilà ce que je voulais éviter.

Elle poussa un cri d’effroi, et s’élança hors de la pièce.

Il l’aurait suivie, s’il l’avait vue sortir de la maison, mais elle se dirigeait vers sa chambre.

S’approchant de Kedsty, il mit un genou à terre pour mieux l’examiner. Les bras de l’inspecteur de police étaient inertes. Rarement Kent avait vu une figure aussi convulsée. Son instinct d’enquêteur se réveilla. Il se rendit compte que son chef, qui avait reçu un coup sur le crâne, n’était point mort de ce choc. Sur le sol gisait un pistolet automatique Colt, appartenant à l’inspecteur, qui n’avait pu en faire usage.

Kent vit tout de suite que Kedsty avait été étranglé. Il ne tarda pas à trouver sous la table la lanière de cuir dont le meurtrier s’était servi. Aucune trace de lutte dans la pièce : donc Kedsty, par le coup reçu sur la tête, avait été rendu incapable de se défendre.

Cependant le désordre de ses vêtements montrait qu’il avait essayé de résister. Au revers de la main droite une double égratignure assez profonde, deux raclements d’ongles, à n’en point douter. Le meurtre avait été commis par deux personnes, l’une maintenant Kedsty immobile, l’autre l’étranglant.

Qui avait tenu Kedsty ? Marette ? Qui l’avait étranglé ? Mooie peut-être.

Marette Radisson était capable de tuer un insolent qui l’aurait outragée : mais porter un coup par derrière, se prêter à un assassinat, n’était pas possible de sa part. Mooie, pour se venger, n’aurait pas fait appel à l’aide d’une femme.

« Voilà ce que je voulais éviter » avait-elle crié dans ce premier mouvement de surprise où se dénonce la vérité. Qu’entendait-elle par là ?

« J’aurais voulu ne pas être obligée de tuer Kedsty ou d’aider à le tuer » ou bien : « J’aurais voulu que ce crime ne se produisît pas. »

« Mais, dans ce cas, pensa-t-il, elle aurait dû m’appeler. Peut-être m’a-t-elle appelé pendant que je dormais ? Pourquoi n’est-elle pas venue me chercher dès qu’elle a été seule ? Pourquoi son effroi en me voyant ? »

Il prit le revolver de Kedsty et aperçut une tache de sang, quelques cheveux gris sur la crosse. Kedsty avait été assommé par son propre revolver. Un meurtrier, venant du dehors, se serait servi de l’arme qu’il aurait apportée. La lanière de cuir — Kent s’en souvint — avait longtemps traîné sur la table de l’inspecteur de police.

Mais alors ce serait Marette seule…

Kent eut soudain une sensation de vertige. Tous ses muscles frissonnèrent, et ce frisson passé, il se sentit inondé de sueur. Une pensée terrible venait de l’assaillir.

— Marette, dites-moi tout.

Ce fut d’un ton brutal qu’il prononça ces mots en entrant dans la chambre de la jeune fille.

Celle-ci s’était jetée sur son lit, le visage dans les mains. Elle se releva, mais son trouble était si grand qu’elle chancela en posant les pieds sur le sol. Elle se maintint debout en s’appuyant contre le lit.

— Marette, je veux tout savoir.

— Je ne puis rien vous dire, répondit-elle d’une voix suppliante.

— Vous n’avez rien à me cacher. Je ne vous trahirai pas.

Il sursauta. Il venait d’apercevoir sur le visage de Marette, un peu au-dessus du sourcil, un point rouge, et sur un de ses doigts, une trace de sang.

— Kedsty venait-il de vous offenser ou de vous menacer ? demanda-t-il, espérant encore qu’elle dirait « oui ».

— Non, Kent. Mais, qu’avez-vous ?

Il avait dû s’asseoir. D’une main crispée, il desserra le col de sa chemise, et, après quelques secondes de silence, il dit à Marette, sans la regarder :

— C’est vous, maintenant, qui partirez. Moi, je reste.

— Que dites-vous, Kent ?

— Après m’avoir sauvé, vous m’avez perdu. Partez… Je vous laisse partir, mais faites vite, vite…

— Kent ! Je vous ai perdu ! Vous voulez que je parte ! Vous perdez la tête ! Et vous donc, qu’allez-vous faire ?

— Me rendre à la caserne.

— Pourquoi ?

— Pourquoi ! répéta-t-il en se levant et en frappant le sol du talon. Parce que je ne veux pas, une seconde fois, passer par où je suis passé… Quand j’ai voulu sauver un ami, j’ai menti, parce que j’étais sûr qu’on ne me croirait pas, mais qu’on serait légalement obligé de me croire. Mon crime supposé avait une excuse : la vengeance. Je ne compromettais que mon honneur professionnel. Ça été dur, il m’en a coûté… Mais aujourd’hui, c’est de mon honneur d’homme qu’il s’agit ! On pourrait croire que j’ai assassiné Kedsty. Non, non jamais.

— Vous croyez alors… que j’ai tué Kedsty ?

— Ce sang sur votre main, et la main de ce malheureux qui porte la trace de vos ongles ?

— C’est en voulant empêcher qu’on le tue.

— Possible, mais guère admissible. Enfin ! Il vous avait peut-être offensée déjà. Vous vous êtes vengée en choisissant la manière qui vous a plu… Je ne veux plus rien savoir. Sauvez-vous !

— Et vous, vous iriez vous livrer ?

— Oui. On ne pourrait manquer de penser que j’ai été, pour le moins, complice de l’assassinat de Pierre Kedsty. On ne dira pas cela, ou si on le dit, on ajoutera : « Il est revenu payer. »

Marette comprit alors tout entière la pensée de Kent, mais elle ne sentit pas d’abord ce que cette pensée avait d’offensant pour elle, tant était profond son amour. Elle trembla pour lui. Son angoisse précédente fit place à la crainte de le perdre. Il témoignait une attitude froide. Marette fut gagnée par la même attitude, parce que lui, c’était elle. Aussi, d’un ton rigide, elle lui dit :

— Kent, si j’avais été obligée de tuer Pelly, vous seriez-vous sauvé de la caserne ?

— Oui, sans doute.

— La mort de l’innocent Pelly ne vous aurait point parue un assassinat ?

— Non, parce qu’un appel de sa part vous mettait en danger de mort. Vous vous défendiez.

— Si Kedsty vous avait attaqué, vous seriez-vous défendu ?

— Vous n’en doutez pas, je suppose.

— N’a-t-il pas fait pire que vous attaquer ? Il vous aurait fait pendre, vous sachant innocent. Comment appelez-vous cela ?

— De l’infamie.

— Justifie-t-elle la vengeance ?

— On ne se venge pas dans une chambre close, on se venge en plein air.

— Où voyez-vous la différence ?

— On se venge d’un ennemi en le regardant en face, et non pas en le frappant par derrière, Marette, quand on est un homme.

Elle pâlit. L’injure l’avait atteinte.

— Vous me croyez capable d’une lâcheté, Kent ?

La révolte de Marette retentit dans son cœur qui se dilata d’une joie immense et qui lui fit dire avec véhémence :

— Non, certes, non, je ne puis croire que vous ayez commis cet acte. Non, ma Marette, ce n’est pas vous. J’en suis sûr, absolument sûr, comme de moi-même.

Et il ajouta presque aussitôt, sous le poids d’un nouvel accablement :

— Mais toutes les apparences sont contre vous, contre nous. Je ne puis plus me sauver.

— C’est bien décidé, Kent ?

— Oui.

— Eh bien, je reste, moi aussi.

— On vous accusera.

— Évidemment.

— Vous ne pouvez me dire quel est le meurtrier ?

— N’insistez pas.

— Vous payeriez pour un autre ?

— C’est bien ce que vous avez voulu faire, Kent, dit-elle, les yeux illuminés de fierté. Je suis votre exemple.

— Oh ! Marette ! s’écria-t-il, un sanglot dans la gorge.

Ils se jetèrent dans les bras l’un de l’autre.

— A présent, n’est-ce pas, nous partons ?

— Oui, dit-elle. Je serai vite prête.

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