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Le fameux chevalier Gaspard de Besse : $b ses dernières aventures

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CHAPITRE XIV

Où l’on verra comment Thérèse découvrit que Gaspard était un voleur, mais que, étant voleur sans l’être, il se montrait sévère envers ceux qui méritent ce nom méprisable ; et comment cette découverte impressionna l’intéressante fiancée de Bernard.

Gaspard s’abstenait depuis quelque temps de prendre part en personne aux opérations de la troupe, devenue moins nombreuse à la suite de diverses rencontres avec les dragons du roi. Il avait été blessé dans une de ces escarmouches, aux environs du parc de Vaulabelle, d’où l’on n’était pas parvenu à le déloger.

Un matin qu’il était dans le parc, près de la gloriette, son endroit favori, Sanplan vint lui annoncer deux captures singulières.

Au moment où un prélat (était-ce l’archevêque d’Aix ?) venait d’être arrêté, et enfermé dans la plus belle et la moins ruinée des salles du château, — Sanplan, de son côté, assisté de Bernard et de deux ou trois acolytes, avait arrêté la diligence qui allait de Brignoles à Aix. Contre toute attente, — Thérèse se trouvait parmi les voyageurs. Elle avait reconnu Bernard parmi les agresseurs, et s’était évanouie.

— Où est-elle, maintenant ? demanda Gaspard.

— Au château, sous bonne garde.

— Et Bernard ?

— Il se désespère et dit qu’il veut mourir.

— Amène-le moi.

— Le voici.

Bernard, en sanglotant, se jeta dans les bras de Gaspard.

— Sois un homme, Bernard. J’avais espéré que cette rencontre n’aurait lieu que beaucoup plus tard, après quelque nouvelle expédition, heureuse cette fois, contre le Parlement. La destinée en décide autrement, soit ; cela vaut peut-être mieux. Pas d’enfantillages. Tiens-toi bien debout, comme un homme ! Nous allons nous expliquer avec Thérèse. Toi, Sanplan, va la chercher.

Sanplan obéit ; il revint bientôt avec Thérèse.

Elle regarda d’un air égaré Gaspard et Bernard, qui, debout l’un à côté de l’autre, restèrent d’abord silencieux, ne sachant, à la vérité, par où commencer une explication.

Elle se tordait les mains et pleurait.

— Est-il possible ! Est-ce là mon Bernard ! Ah ! malheur sur moi ! malheureuse ! malheureuse que je suis !

Elle se tut. Les trois hommes se taisaient. Le pénible et lourd silence se prolongea…

Ce fut Sanplan qui le rompit :

— Eh bien, oui ! fit-il tout à coup ; nous sommes des corsaires !… mais des chrétiens, Thérèse ! et qui n’attaquent que des païens fieffés… Sur ma foi, cela mérite mieux que vos lamentations d’ignorante. La vérité vraie, la vérité de fond, c’est ce qu’il faut voir, et la voici : c’est pour la justice, et en grande partie pour vous, que l’on trime. On veut punir les assassins du père de Bernard, et c’est ce qu’avec nous vous devez vouloir…, puisque vous aimez Bernard, et qu’une fille comme vous ne change pas d’amour comme de chemise ! Ne vous a-t-on pas fait rendre la dot, votre héritage, indûment retenue par ce coquin de Cabasse, votre oncle ? Cette dot n’est-elle pas en sûreté, pour vous être rendue, le jour où vous pourrez épouser Bernard ? Oui, n’est-ce pas ? Est-ce que c’est là, oui ou non, de notre part, une conduite d’honnêtes gens ? oui, n’est-ce pas ? Donc, on a droit à toute votre amitié et à votre estime…

Bernard osa dire un mot :

— Ne nous avez-vous pas vanté vous-même, un jour, ma Thérèse, les faits et gestes d’un certain Gaspard de Besse ? Eh bien, le voilà devant vous ; et je l’ai suivi fidèlement, parce qu’il a voulu servir la juste cause de mon père, châtier ses assassins et les mauvais juges qui oublient la justice.

— J’ai parlé, c’est vrai, un jour, devant lui-même, murmura Thérèse, de Gaspard de Besse comme d’un révolté aimé du peuple, — mais il arrive qu’on réprouve de près ce que, de loin, trop facilement, sur la foi des bavards, on a eu le tort d’excuser ; autre chose est d’excuser un coupable ; autre chose de s’en faire un allié… Adieu, Bernard, car, je pense, on ne va pas me retenir ici malgré moi ?

A mesure qu’elle parlait, sa voix s’était assurée. Maintenant, elle se tenait bien droite, tête haute, avec un air de défi qui venait de sa confiance, malgré tout persistante au fond de son cœur, en Bernard et en Gaspard.

— Oh ! Thérèse, dit Bernard, ne m’abandonnez pas ! Faites-moi crédit d’un peu de temps. Laissez que les événements vous prouvent que nos volontés sont justes ; attendez que le roi, peut-être, nous accorde, avec notre pardon, la justice que nous voulons.

Elle sanglotait, et finit par dire :

— Dieu voit que je ne sais plus où en sont mes pensées !

— Le Parlement, en laissant libres les assassins, insista Bernard, s’est fait hautement leur complice.

Thérèse sentait en elle tourbillonner ses idées. Tout à coup, elle poussa un cri qui fit frémir le jeune homme :

— Lui, lui ! Voleur parmi des voleurs ! Lui, un voleur !

Alors la colère de Gaspard éclata :

— Des voleurs ? Nous, des voleurs ? Je ne veux pas de cette injure ! Nous défendons, au contraire, ceux qu’on dépouille d’une manière infâme. On peut appeler — oui — de ce nom infamant ! votre oncle et tuteur, par exemple, le vil Cabasse et ses anciens maîtres, l’ancien valet de fermier-général et tous les gens de la Ferme. Aux mains de ces traîtres reste collée la plus grande partie de l’or sué par le peuple et qui, destiné au roi, devrait être employé seulement pour le bien et l’honneur de la nation ! Votre oncle et tuteur ? Ah ! certes, il n’est pas, celui-là, un hardi chef de bande, comme Gaspard ! Il est le lâche et sournois larron, le bas prêteur sur gages, qui impose aux pauvres gens un taux d’intérêt contraire aux lois. Pour s’en cacher, il n’est pas de ruses qu’il n’emploie ! Il prépare dans l’ombre ses filets de pêcheur d’or. Il enlace ses malheureuses gens dans le réseau des traités menteurs, des engagements onéreux, à échéance fixe ; puis, un beau jour, quand l’échéance arrive, le voleur masqué, le vrai voleur, rançonne ses victimes au nom de la loi ! Ah ! ces honnêtes gens ! ces gens vertueux qui apprennent les lois par cœur afin d’y échapper, quelle engeance ! Quelle peste ! quelle vermine ! mais le peuple la secouera ! il l’écrasera, demain ! Les mauvaises lois, nous ne les tournons pas, nous ! Nous les attaquons de front, nous les bravons pour les renverser, y étant forcés, parce que nous voulons en faire établir de meilleures ! Nous les changerons demain, les lois d’infamie, de brigandage et de torture ! C’est contre elles que je me suis dressé en soldat ! C’est contre les trafiquants louches, contre les hommes d’exaction, de concussion, de simonie, de vol, en apparence légal. Et voilà pourquoi on met ma tête à prix ! Et, cependant, pas une parcelle d’or ne me reste aux mains ! Je suis un pauvre et je donne à de plus pauvres. Retournez, retournez contre ceux que je combats, ce nom de voleur qui n’est pas le mien ; il souille ma lèvre ; je le crache dans la fange où se traînent ceux qu’on nomme ainsi. Et toi, pardonne-moi, mon Bernard ! mais il faut qu’elle sache, il faut qu’elle comprenne. Elle comprendra.

Thérèse s’affolait.

— Rendez-moi mon Bernard, dit-elle. Peut-être est-il temps encore de le sauver.

— Bernard est libre d’agir à sa guise, déclara Gaspard.

— Changez de vie ensemble ! implora-t-elle.

— Bernard est libre ; mais, moi, j’ai une mission que je me suis donnée… Je n’y faillirai point. Et puis, je l’aime chaque jour davantage, cette mission de justicier. Il faut que je voie le Parlement humilié devant nous, devant moi, et que le bruit de son humiliation arme contre lui sinon la vengeance des peuples, du moins l’équité du roi !… Emmenez Bernard !

— Viens, Bernard ! répéta Thérèse plusieurs fois.

Mais Bernard :

— Thérèse, si je quittais lâchement, à ton appel, l’homme qui risque pour moi sa vie et son honneur, qu’en penserais-tu, un jour, toi-même ? Je ne peux, je ne dois pas l’abandonner.

— Adieu donc, Bernard ! dit-elle.

Et elle voulait fuir ; mais, toute tremblante, elle dut s’asseoir, comme anéantie.

A ce moment, Lagriffe accourait :

— Que faut-il faire, capitaine, de trois drôles que nous avons surpris, dans une vigne du voisinage, en train de menacer de mort et de dépouiller un pauvre vieux paysan ?

— Qu’on me les amène sur-le-champ ! commanda Gaspard… Vous allez voir, Thérèse, quel voleur je suis, et comment sont traités par moi les misérables qui, peuple eux-mêmes, volent le peuple !

Les trois hommes arrivèrent bientôt, que poussaient devant eux Lagriffe et deux archers.

Les archers portaient encore leur ancienne casaque d’uniforme, très reconnaissable, quoique en fort mauvais état.

— Vous voliez un pauvre ? dit brusquement Gaspard. Vous allez être pendus.

Les hommes tressaillirent et se regardèrent, tout pâles.

— Messieurs les archers… commença l’un d’eux.

— Archers ? nous ? s’écria Sanplan indigné.

— N’êtes-vous pas les gens de la maréchaussée ? dit un autre des voleurs.

— Déguisés, alors ? ricana Sanplan…, mais, mort de ma vie ! c’est là le pire des affronts !

— On connaît les manières des archers, déclara insolemment l’homme qui avait parlé le premier.

Il continua d’un ton de mépris :

— Nous avons des bourses bien garnies. Nous paierons bien.

— Nous prends-tu, gronda rudement Gaspard, pour des coquins de ta sorte ?… Vous êtes en présence de Gaspard de Besse.

Ce nom frappa les trois coquins de stupeur et de terreur. L’un d’eux dit aux autres :

— Si c’est Gaspard, notre compte est bon.

Et tous trois firent mine de se jeter à ses pieds.

— Debout ! commanda Gaspard ; et répondez-moi vite et net.

Thérèse, comme réveillée d’un songe, suivait attentivement cette scène inattendue.

Les trois hommes s’étaient relevés d’un seul mouvement.

— Fûtes-vous marqués ?

— Oui.

— J’en rougis pour le bagne ! s’écria Sanplan.

— Maître, dit un des voleurs, qui jusque-là, n’avait point parlé ; ayez pitié de nous ! Nous le méritons.

— En vérité ? et comment ?

— … Un jour, on nous fit boire à la santé du roi, par surprise…

— Oui, je sais comme on vous racole ! Une fois la rasade bue, un pauvre diable est considéré comme engagé, sans qu’il puisse se dérober : il est soldat. Jolis soldats, ma foi ! Et joli métier que celui de racoleur ! Encore une réforme à faire ! qu’en dites-vous, Thérèse ?

Celui des trois hommes qui venait d’implorer pitié, reprit assurance :

— Maître Gaspard, vous êtes un homme juste ; vous devez comprendre… Nous n’avons jamais eu d’autre école que la guerre ; la guerre, où l’on nous a poussés malgré nous, nous obligeait à faire, par ordre, justement ce qui, jusque-là, nous avait été défendu : tuer !… Si nous faisions cela, on nous promettait la gloire… Oui, la veille de notre engagement, le meurtre nous était interdit, comme le plus punissable des crimes. Et voilà que tout à coup la guerre nous le permettait… La paix faite, nous voilà renvoyés chez nous, tous trois ; et chacun de nous rapporte… quoi ? quelque blessure, un peu gênante pour un travail honnête… et quoi encore ? pas une dardenne en poche !… Cependant il faut manger ! Alors nous avons cru pouvoir, sans trop de honte, nous comporter chez nous comme nous le faisions chez l’ennemi… et nous avons, à notre façon, fait, pour notre compte… la guerre !

— La guerre à vos frères, à vos frères ! cria Gaspard, la guerre aux vieilles gens ! aux femmes, à vos nourriciers les paysans, la guerre à des gens qui vous croient leurs amis !… une guerre de lâches !… Je n’en veux pas entendre davantage. Vous êtes les pauvres sans pitié, les soldats sans bravoure ! Vous serez pendus ! pendus ! haut et court ! et à l’instant !… Qu’on les pende !

Les trois misérables tombèrent à genoux ; et ils criaient : « Grâce ! Gaspard… Prends-nous avec toi !

Gaspard réfléchit un moment, puis :

— Êtes-vous repentants ? Saurez-vous obéir ?

— Nous le jurons ! crièrent-ils, d’un élan commun.

— Eh bien, soit ; vous pourrez encore vivre et mourir en hommes !… Allez !

Il fit un signe. On les emmena. Ils remerciaient.

Thérèse s’approcha de Bernard :

— Bernard, dit-elle d’une voix douce, mais ferme, je te suivrai quand tu voudras, partout, fidèlement.

— Enfin ! murmura Gaspard qui se détournait pour cacher son émotion.

Bernard enlaçait Thérèse dans ses bras ; et il tremblait de bonheur.

Sanplan s’essuyait franchement les yeux.

Gaspard rêvait, regrettant l’amour pur, et satisfait d’en ouvrir les joies à son jeune frère d’adoption.

— Oui, mon Bernard, soupira Thérèse, déjà attristée de sa promesse, je te suivrai quand tu le voudras ; mais — tu le sais — il faut d’abord qu’un prêtre nous bénisse. Tu ne le voudrais pas autrement… Hélas ! quel prêtre consentirait à nous bénir ? Pas un, pauvres de nous !

— Et pourquoi non ? dit Sanplan ; sachez, Thérèse, que nous avons un curé, non pas dans notre manche, mais sous la main.

— Sanplan, dit sévèrement Gaspard, ce n’est point le moment de jouer des comédies. Pablo n’est pas un prêtre.

— Aussi, n’est-ce point de notre aumônier que je veux parler, répliqua Sanplan, mais de notre évêque !… Il n’aura rien béni encore d’aussi charmant que ce mignon couple-là !

L’idée qui lui était suggérée ne parut pas tout de suite raisonnable à Gaspard. Avant de l’accepter, il la pesa en silence ; il examina les arguments qu’il pourrait présenter à ce prince de l’Église ; il prévit les résistances et les sévérités auxquelles il devrait répondre ; puis, prenant son parti :

— Au fait, dit-il en souriant, tu as raison, ami Sanplan ; laissons Thérèse et Bernard se parler d’amour… Je vais demander à l’évêque sa bénédiction pour les fiancés.

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