Le fameux chevalier Gaspard de Besse : $b ses dernières aventures
CHAPITRE XXVII
Le dernier acte du bandit gentilhomme.
Des coups de feu se firent entendre, tout proches. Et aussitôt cinq ou six bandits surgirent du bois voisin, tout essoufflés. Parmi eux se trouvait Bernard, pâle et le front ensanglanté.
Il expliqua que, ayant appris le danger que devait courir la troupe, il avait voulu y prendre part. Il était arrivé trop tard, — bien après l’escarmouche.
Au bas de la colline, des dragons apostés avaient essayé de le capturer. Il leur avait échappé, mais un coup de feu l’avait légèrement blessé au front.
— Plusieurs de ces soldats me suivent, dit-il. Je crains que nous soyons cernés, car j’en ai vu un grimper par notre sentier secret.
— Et nos sentinelles ?
— Prisonnières ! cria un brigadier de dragons qui parut à son tour au bord du plateau, derrière une roche.
Alors le marquis des Saquettes, s’avançant vers Gaspard :
— Tout cela est l’effet de l’ordre que j’ai eu le temps de donner au brigadier que voilà, au moment de notre arrestation. Et nous voici en trop grand nombre pour que vous tentiez une résistance quelconque.
Un bandit blessé se présenta à son tour :
— Les dragons gardent tous nos passages. Nous sommes cernés. On n’a plus qu’à se rendre : c’est notre fin !
— Pas encore ! gronda Gaspard qui renonçait brusquement à se montrer généreux jusqu’au suprême sacrifice.
Et montrant les bandits qui l’entouraient et qui, obéissant à un signe de lui, braquèrent leurs mousquets sur les parlementaires :
— Je n’ai qu’un second signe à faire, et c’est la fin d’un Parlement.
Des éclairs de colère jaillissaient de ses yeux.
— Je peux encore vous faire massacrer tous.
Marin, silencieux jusque-là, dit simplement :
— Non, monsieur : vous ne le pouvez pas.
— Qui m’en empêchera ? dit Gaspard, hautain et furieux.
— L’honneur de votre nom, monsieur. Votre honneur, qui dépend de cette minute. Vous voudrez rester le partisan. Ne redevenez pas le simple bandit. L’Histoire vous guette. Bandit, vous l’avez été d’abord. J’estime que vous ne l’êtes plus. Votre cause, telle que vous la plaidez en paroles, est trop belle pour que vous la compromettiez par un acte indigne d’elle. Composons, monsieur… Je sais — il n’importe comment — quelles influences vous ont porté si haut. Pensez à elles.
Marin ne songeait qu’à M. de Mirabeau, mais Gaspard crut entendre la voix même de Mme de Lizerolles. Il tressaillit. La flamme de la colère s’éteignit dans ses yeux. Son cœur obéit.
— Monsieur le président, dit-il avec calme, je suis sûr de votre bonne foi, à vous. Pouvez-vous m’assurer que, si je me livre, mes hommes, tous, sans exception, obtiendront leur grâce complète ?
— Je m’y emploierai du moins, et je crois pouvoir l’obtenir, avec l’aide d’un homme que vous avez rencontré par hasard, chez une personne de ses amies, monsieur Gaspard. En tous cas, les hommes qui vous entourent présentement vont pouvoir s’éloigner sans être inquiétés ; je m’en porte garant.
— Bas les armes ! A vos refuges, tous ! cria Gaspard.
Ce cri était un mot d’ordre, la nécessité de licencier brusquement la bande étant une éventualité depuis longtemps prévue. Chaque homme devait, lorsque ce cri serait poussé par le chef, chercher asile et travail chez les nombreux affiliés de Gaspard, en des fermes et des régions très éloignées les unes des autres. Un important banquier gardait le trésor de la bande, comme faisait le marquis de Chaumont pour Mandrin ; et chaque bandit, en cas de licenciement, devait recevoir, par les soins de Sanplan, sa part de la masse commune.
Gaspard ajouta :
— Sanplan, Bernard, Pablo, Lecor, écoutez-moi bien : moi parti, quand le dernier des dragons aura quitté la place où nous sommes, vous transmettrez mes ordres à chacun de nos hommes ; ils iront tous, et vous de même, a vos refuges ! jusque-là, restez armés. Je ne me rends qu’en échange de la promesse qu’on obtiendra votre grâce à tous. Si cette promesse n’était point réalisée, vous saurez vous cacher, fût-ce en passant la frontière, par les voies et moyens que je vous ai enseignés ; mais la promesse sera réalisée, parce qu’il apparaîtra de bonne politique qu’elle le soit.
— Gaspard, essaya de dire Sanplan qui pleurait, il en est temps encore. Vendons chèrement nos vies. Crois-moi, l’échafaud t’attend.
— En ce cas, de l’avoir accepté, ce sera pour moi l’honneur reconquis, dit Gaspard. Mon sacrifice est fait, mes amis… Assez de paroles.
Dans un morne silence, les bandits, immobiles, l’arme au pied, attendaient la capture définitive de Gaspard, la fin suprême de leur aventure.
— Monsieur Marin, dit encore Gaspard, je vous recommande d’une façon toute particulière, mon fils d’adoption, Bernard, que j’embrasse en ce moment. Vous avez d’ailleurs pu voir que ce jeune homme n’était pas avec nous, quand nous vous avons attaqués. Il prit part seulement à une plaisanterie que, l’autre soir, vous aviez organisée vous-même.
— Non, non ! tout n’est pas fini ! grondait sourdement Sanplan.
— Bien fini. Obéissez.
Il tendit ses bras ouverts. Sanplan et Lecor l’embrassèrent. Pablo attendit, pour les imiter, un signe de Gaspard. Gaspard l’appela ; puis, se tournant vers les parlementaires, émus malgré tout :
— Je suis à vos ordres, messieurs.
Les dragons l’entourèrent. Il suivit, à pied, jusqu’à Aix, les carrosses du Parlement.
Déjà, il ne pensait plus qu’à Mme de Lizerolles.
— Je meurs un peu pour elle, se disait-il dans son cachot. D’ailleurs ni près d’elle, ni sans elle, je n’aurais pu vivre… L’échafaud m’attend ; soit… J’y monterai, tête haute. Je meurs ; mais, malgré tout, la juridiction criminelle est frappée.
Elle était frappée en effet. Une justice, un droit nouveaux étaient promis à la France et au monde.
Cette justice, ce droit nouveaux, annoncés par Beccaria et par Volney, ce sont ceux de la civilisation latine, ceux que la France et le monde ont à défendre contre tous les retardataires, contre les barbares de toute race. Il y a un progrès social ; il n’est que dans l’équité et la bonté humaines. Tout moyen de cruauté et de violence, sous quelque drapeau qu’il se range, ne peut s’appeler que Réaction, puisqu’il tend à ramener l’homme aux horreurs de la sauvagerie primitive.
Il n’y a proprement d’idées « avancées » que les idées de justice et de mutuelle sympathie.
Certes, ce n’est pas pour ses violences qu’on aime la Révolution française, mais parce que, à travers tout, sa pensée directrice aboutit à la libération de la dignité individuelle.