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Le fameux chevalier Gaspard de Besse : $b ses dernières aventures

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CHAPITRE XIX

M. de Paulac, représentant du lieutenant général de police envoyé de Paris, par ordre royal, pour informer aussi bien sur les agissements du Parlement que sur les actes de Gaspard de Besse, est arrêté et conduit en prison, sur l’ordre non moins royal du bandit populaire.

— A propos du Parlement, dit un jour à Gaspard Mme de Lizerolles… j’ai d’étranges nouvelles. Vous savez que je ne l’aime guère, et pour les mêmes raisons que vous ; mais son Président mérite mon admiration et la vôtre.

— M. Marin, madame, crible ses confrères d’épigrammes, je le sais. Il a, de la justice, une tout autre idée que ses collègues.

— Oui, mais ses plaisanteries vont loin. Voici ce que j’ai appris de source certaine, par la lettre d’une amie qui est en situation de savoir bien des choses. Le lieutenant général de police et le Roi lui-même ont chargé un personnage assez considérable, M. le marquis de Paulac, d’une mission secrète. Elle consiste à venir reconnaître l’état de l’opinion publique en Provence, en ce qui concerne et le Parlement et un certain Gaspard. Or, à Paris, le marquis de Gantinaye, un ami du président Marin, ayant eu vent de la chose, s’est avisé, par pur badinage, m’écrit-on, de rendre ce Paulac victime d’une brimade sans méchanceté, mais véritablement inouïe. Il a recommandé à M. de Paulac de ne prendre gîte, à Aix, que dans une soi-disant hôtellerie qui n’existe pas, et qui s’appellerait Hôtel des marins. En même temps, le mystificateur écrivait au président Marin pour le prier d’entrer dans la plaisanterie et voici de quelle façon. L’Hôtel des marins, qui n’existe pas, a été dépeint à Paulac comme une merveille unique. C’est, lui a-t-on expliqué, une auberge pour gentilshommes, tenue par un homme riche, un original maniaque, amateur passionné de cuisine, et qui ne reçoit chez lui que des gens titrés. La noblesse d’Aix s’y donne rendez-vous comme dans un salon du meilleur ton ; et c’en est un. Bref, on a décrit à Paulac l’intérieur du président même ; et Marin, toujours disposé à rire, s’apprête, sous le costume d’un maître-aubergiste, à se jouer de M. de Paulac ; il lui prépare une comédie dans laquelle tous nos amis paraîtront, les uns en voyageurs de marque, les autres en valets, servants et servantes, marmitons et filles de chambre.

Gaspard, qui avait écouté attentivement, s’écria :

— Me permettrez-vous, madame, d’entrer de ma personne pour une part dans cette plaisanterie[14] ?

[14] L’idée n’était pas neuve. Un président à mortier du Parlement d’Aix, déguisé en maître d’auberge, avait reçu dans les mêmes conditions, en 1695, un prince étranger, émerveillé de trouver à l’hôtel Coriolis une réception digne de lui ! Ce président était le marquis Coriolis d’Espinouse ; M. de Paulac, par la police, aurait dû savoir cela, et se méfier.

— … Si vous promettez de ne pas la faire tourner au sérieux, je veux dire au tragique.

— Certes ! il me plairait seulement d’épargner au représentant du lieutenant de police le ridicule de cette mystification. Ne serait-il pas piquant que la police me dût quelque remerciement ?

— Comment vous y prendrez-vous ?

— Je ne sais pas encore de quelle façon je m’y prendrai, mais cela se trouvera.

— Faites donc ! dit-elle, et sauvez Paulac !… Le roi lui-même ne pourra que vous en savoir bon gré.

Puisque l’espièglerie amuse ma belle amie, pensait Gaspard, voici une occasion incomparable de lui servir un régal de ma façon.


Averti comme il l’était, de la brimade préparée contre l’envoyé de la police, il ne fut pas difficile à Gaspard d’apprendre l’arrivée de ce Paulac à Draguignan où il venait faire une enquête, un peu tardive, sur l’évasion du « terrible bandit ». De Draguignan, M. de Paulac se rendrait à Aix, par Lorgues et Brignoles. Gaspard avait appris l’itinéraire du gentilhomme par les lettres mêmes que ce Paulac avait adressées aux syndics pour les informer de son passage, et se faire préparer des repas. Arrêter les courriers et prendre connaissance des lettres adressées à ses ennemis, cela, de tout temps, fut un jeu pour un capitaine, en temps de guerre.


Un beau matin, une large berline entrait dans le parc de Vaulabelle, escortée copieusement par des bandits armés, et commandés par Sanplan.

M. de Paulac, accompagné de son secrétaire assis auprès de lui, — et de son majordome assis sur le siège, à côté du cocher, — était capturé par celui qu’il avait espéré faire prendre.

L’envoyé du préfet de police fut conduit aussitôt, avec son secrétaire, dans la salle nue, mais imposante, où avait été gardé l’évêque. En arrêtant sa voiture sans que lui ni ses gens aient eu le temps de se défendre, — tant l’attaque, au détour d’un chemin, avait été imprévue et bien conduite, — Sanplan lui avait dit : « Nous sommes chargés, Monsieur, de vous conduire, avec toutes sortes d’égards, auprès de notre capitaine. Excusez-nous ; vous êtes mandé par ordre de Gaspard de Besse. »

M. de Paulac était homme de France, c’est-à-dire qu’il pensait qu’on doit prendre, avec bonne humeur, les pires catastrophes, lorsqu’on n’a plus aucun moyen de les éviter. Il sourit : « C’est très bien joué », fit-il simplement.

Et quand Gaspard, entrant dans la salle où s’ennuyait déjà un peu son aimable prisonnier, lui dit dès le seuil :

— Eh bien, que pensez-vous de l’aventure, monsieur ? Et qu’en penseront M. le préfet de police et Sa Majesté ?

— Je pense, monsieur, que j’aurais dû croire sur deux points les rapports que j’avais reçus : ils m’assuraient que les routes de Provence n’étaient pas sûres, et que vous aviez de l’esprit.

— Et pourquoi, selon vous, vous ai-je arrêté ?

— Mais… parce que, sachant qui je suis, vous comptez bien, en ennemi de toute magistrature, faire sentir à un magistrat le poids lourd de vos haines.

— Mon Dieu ! cher monsieur de Paulac, (mais asseyez-vous donc, je vous prie), c’est, ma foi, me fort mal connaître ; et très certainement on m’a noirci à vos yeux. En réalité, je n’ai aucun acte de vengeance ni de justice à exercer contre vous. Paris est si loin ! Je n’en veux qu’au Parlement d’Aix. Toutefois, il serait bon qu’un homme tel que vous, monsieur, voulût bien porter à Paris nos légitimes plaintes contre le Parlement, et même nos « remontrances ». Je suis persuadé que, informé des agissements des parlementaires dans une certaine affaire de pendaison, que je vous expliquerai, Sa Majesté en jugerait comme nous, et nous donnerait satisfaction.

M. de Paulac ouvrait tout grands ses yeux qui disaient son étonnement démesuré. Il ne trouva à balbutier qu’un mot vague :

— En vérité ! Vous croyez ?

— Nous reviendrons sur cette affaire plus spécialement, reprit Gaspard, lorsque je vous aurai rendu, fût-ce malgré vous, un grand service.

— Un grand service ? Vous ! à moi !

— A Aix, si mes renseignements sont exacts, vous prendrez gîte, n’est-ce pas, à l’Hôtel des marins ?

— C’est exact.

— Cet hôtel vous a été désigné comme le plus riche de Provence et fréquenté par toute la noblesse du pays ?… et celui qui vous l’a recommandé est de vos amis ? le marquis de Gantinaye !

— C’est encore exact.

— Gantinaye vous a conté que cette hôtellerie présentait tout le luxe d’un hôtel particulier, si bien que même la noblesse d’Aix s’y donne rendez-vous, presque chaque soir, pour y savourer une cuisine digne de l’impératrice de toutes les Russies, et y passer une partie des nuits au jeu ou au bal ?… On vous a conté tout cela ?

— Tout cela.

— Mais rien de tout cela n’est vrai, dit Gaspard.

— Je ne comprends plus.

— Vous allez comprendre : il n’existe pas, dans Aix, d’hôtellerie qui s’appelle Hôtel des marins. On vous a préparé une prodigieuse mystification. L’hôtel privé du président M. Marin a été arrangé, à votre intention, depuis deux jours, en hôtellerie. Sachez qu’on accrochera une enseigne fallacieuse au-dessus de la porte monumentale. Les amis du président seront déguisés. Lui-même, pour vous recevoir, doit revêtir le costume d’un gentilhomme-cuisinier ; c’est, en sa personne, le Parlement qui se prépare à rire aux dépens de votre Seigneurie policière ; et les juges, présents à cette soirée mémorable, vous « gaberont » à ventre déboutonné. Cela convient-il, monsieur, à votre dignité, et à celle du haut dignitaire dont vous êtes le représentant ?

— Et, dit M. de Paulac attentif, vous me pardonnerez, mais qui me garantit l’existence du complot que vous voulez bien me révéler ?

— Ceci : que rien ne me force à vous le dire.

— Cela même, qu’est-ce qui me le prouve ?

— Je suis sûr de ce que j’avance, et vous en donne ma parole d’honneur.

M. de Paulac, à ce mot, tomba des nues ; et, ayant considéré Gaspard, il dit : « C’est singulier, mais je vous crois ! »

— Merci, fit gaîment Gaspard ; et, puisque vous me croyez, j’insiste ; vous êtes entre mes mains ; je n’ai aucun compte à vous rendre : si tout ce que j’annonce était faux, vous le sauriez bien vite, au cas où je vous remettrais en liberté ; et, dans le cas contraire, à quoi cette fable me conduirait-elle ?

— Est-ce qu’on sait !… et, au fait, à quoi cela vous sert-il d’empêcher cette brimade ?

— Nous y voici, dit Gaspard. D’abord, en vous épargnant le vif désagrément d’avoir à la subir et ses conséquences, je ne suis pas sans compter sur une pensée reconnaissante du galant homme que vous êtes ; ensuite, j’ai le dessein de me rendre, sous votre habit, à cette soirée comique et d’y duper vos dupeurs. C’est un bon tour que je jouerai au Parlement. En échange, vous parlerez quelque jour au Roi, en honnête homme que vous êtes, de ma façon de gaber nos magistrats, et surtout du désir légitime de notre peuple qui voudrait voir rappeler à l’ordre ce Parlement facétieux et sinistre… Vous riez ?… Votre habit m’ira comme un gant ; celui de M. votre secrétaire et celui de M. votre majordome feront merveille sur le dos de mes lieutenants ; car vous allez, monsieur, me prêter trois costumes de ville… que je pourrais d’ailleurs prendre sans votre agrément puisque vos valises sont entre nos mains… Vous voudrez bien dire un jour à Sa Majesté que nous faisons la guerre, en frondeurs aimables, non pas à Elle, certes, mais à ceux de ses serviteurs que nous jugeons indignes de ses bontés.

Un moment interloqué, M. de Paulac avait fini par rire de très bon cœur.

— Ma foi, monsieur Gaspard, l’histoire est bonne ! j’avais entendu parler de la galégeade de Provence. J’avoue que je ne comprenais pas bien la signification du mot ; mais la chose se fait très bien entendre d’elle-même ; et si j’étais le prince, et que vous fussiez condamné à mort — ce qui pourra bien vous arriver, — je n’hésiterais pas à signer votre grâce. Quand vous aurez noté que je ne puis en aucune façon vous empêcher d’entrer dans mon meilleur habit de voyage (il est tout neuf par parenthèse), j’ajouterai qu’en me sauvant du ridicule qui m’était promis, vous vous montrez fort honnête homme. Et je me sentirai assez disposé, si les circonstances me le permettent, à dire partout que mes agents, ayant été assez habiles pour éventer le complot formé contre moi, c’est grâce à eux que j’aurai évité la fausse Auberge des marins. Si enfin, un inconnu spirituel (je dirai spirituel) a su, en se faisant passer pour moi, rendre les conjurés victimes de leur propre complot, du moins ne saura-t-on jamais que je fus, de gaîté de cœur, pour quelque chose dans cette heureuse vengeance.

— Nous nous comprenons, dit Gaspard. Et c’est vous qui êtes, monsieur, le plus spirituel du monde.

— Et vous, monsieur, dit M. de Paulac, vous êtes bien le plus aimable et le plus séduisant des bandits de France.

Ils se saluèrent.

— Cette salle, monsieur de Paulac, est mise à votre disposition pour le temps de votre séjour, c’est-à-dire jusqu’au lendemain de la soirée de M. Marin. Votre secrétaire et votre majordome vont vous être rendus. Vous jouirez d’une liberté relative, sous bonne garde. Et croyez, je vous prie, qu’il y aura plus de sécurité pour vous à attendre ici la fin de notre petite comédie, qu’à tenter une fuite certainement vouée à l’insuccès. Je suis, monsieur, votre très humble et très dévoué serviteur.

M. de Paulac esquissa de nouveau un salut aimable ; et Gaspard quitta un homme à la fois confus, étonné, navré et enchanté d’être le prisonnier d’un bandit si galant homme.


Dans la valise de M. de Paulac, que Gaspard fit ouvrir, on trouva, avec ses habits de gala, les papiers qui l’accréditaient auprès du Parlement et du gouverneur de Provence. On trouva notamment un ordre signé du Roi, enjoignant à tous officiers et magistrats du royaume, de faciliter sa mission à M. le marquis de Paulac, chevalier de l’ordre du Saint-Esprit, — par tous les moyens en leur pouvoir.

Gaspard fit appeler M. de Paulac et lui emprunta ces papiers, en souriant.

— Soyez tranquille, monsieur, lui dit-il, ils vous seront fidèlement rendus ; et je ne m’en servirai que dans votre intérêt.

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