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Le grand-ouest des États-Unis : $b Les pionniers et les peaux-rouges : les colons du Pacifique.

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LES COLONS DU PACIFIQUE

I

LA DÉCOUVERTE DE L'OR EN CALIFORNIE.

La haute ou nouvelle Californie, que l'on connaît plus particulièrement aujourd'hui sous le nom seul de Californie, fut de bonne heure visitée par les missionnaires espagnols. Ils entrèrent les premiers, en 1769, dans la baie de San Francisco, civilisèrent une partie des Indiens, et donnèrent un certain développement à l'agriculture.

Une vingtaine de missions florissaient dans le pays, quand la guerre de l'indépendance éclata dans le Mexique en 1822, et amena la sécularisation des biens religieux, ainsi que la ruine des missions californiennes.

Quelques années après, des pionniers américains, venus des divers États de l'Union, s'établirent peu à peu dans le pays, et en 1844 un convoi de visiteurs arriva, commandé par le capitaine Frémont, aujourd'hui général démissionnaire. Ce célèbre explorateur avait été chargé, par le gouvernement fédéral, d'étudier les routes qui pourraient conduire par terre des derniers États de l'Union dans la Californie. Il s'acquitta de sa mission avec l'intelligence, le courage et le sang-froid qui le caractérisent. Il faut que le résultat de ses études ait été favorable au développement américain, car, en 1847, la guerre ne tarda pas à éclater entre les États-Unis et le Mexique. Quelques difficultés survenues dans l'État libre du Texas servirent de prétexte aux hostilités. Le Texas, séparé de la république mexicaine, s'était mis sous la protection des États-Unis. Les volontaires américains, conduits par le général Scott, envahirent le Mexique, et entrèrent même dans Mexico, sa capitale. Pendant ce temps, des troubles éclataient aussi en Californie. La république mexicaine vaincue demanda la paix. La cession de toute la haute Californie, qui comprenait alors, avec la Californie actuelle, l'Orégon et l'Utah, devint une des conditions du traité. Il fut échangé et ratifié le 30 mai 1848. Les États-Unis y gagnèrent en outre le territoire du Nouveau-Mexique, plus l'annexion du Texas, qui demanda à fraterniser avec l'Union. Ainsi, après une lutte de peu de durée, où elle avait perdu seulement quelques hommes, la république des États-Unis augmentait son territoire, déjà si vaste, de quatre ou cinq nouveaux États, dont chacun couvre, en moyenne, une étendue au moins égale à la superficie de la France.

Mais là ne devait pas se borner le résultat déjà si favorable pour l'Union de sa guerre avec le Mexique. Au moment de la cessation des hostilités, et comme par une sorte de fait providentiel pour les Américains, l'or était pour la première fois découvert en Californie, à la scierie du capitaine Sutter.

L'existence de ce colon avait été des plus agitées. Ancien capitaine des gardes suisses de Charles X, et Suisse lui-même, il avait quitté la France après la révolution de Juillet. Il s'était d'abord établi aux États-Unis. Neuf ans après, pionnier comme tant d'autres, le colon du Far-West avait traversé les déserts, et était venu se fixer dans l'intérieur de la Californie. Près du lieu où existe aujourd'hui la ville de Sacramento, Sutter s'était fait fermier. Il défrichait des terres et exploitait les bois des environs. Il avait bâti un fort pour repousser les attaques des Indiens, contre lesquels il montait la garde avec une centaine de pionniers résolus. Enfin, sur la rivière qu'on a nommée depuis l'American-River, il avait établi une scierie de bois, à quinze lieues de son fortin. Ce fortin portait le nom de Nouvelle-Helvétie en l'honneur de la patrie absente, et on peut le voir encore indiqué sur les cartes de Californie antérieures à l'année 1848.

C'était alors l'époque du grand déplacement des Mormons, chassés des États de l'Union comme ennemis du bien public. Une partie de ces curieux sectaires accomplit son exode en traversant les Montagnes-Rocheuses, pour aller se fixer vers le grand lac Salé de l'Utah, tandis qu'une autre portion des fidèles arrivait par mer de New-York aux Sandwich d'abord, et de là en Californie. Quelques-uns des Mormons venus par cette voie, étant à bout de ressources, louèrent leurs bras à Sutter, avant de gagner l'Utah, et c'est à l'un d'eux, l'Américain Marshall, que revient l'honneur d'avoir mis la main sur la première pépite. C'est dans le canal amenant les eaux à la scierie de bois établie sur la rivière américaine que la découverte eut lieu. On a expliqué le fait de différentes façons. Les uns disent que c'est en lâchant l'eau pour la première fois dans le canal que l'on venait de creuser, qu'une pépite se montra à l'œil étonné de Marshall; mais un récit que j'ai sous les yeux, et qu'on attribue à Marshall lui-même, raconte d'une façon un peu différente l'apparition de la pépite. D'après ce digne Mormon, de la découverte duquel ses coreligionnaires devaient profiter pour une assez bonne part, voici comment la chose se passa:

«Comme nous avions, dit-il, l'habitude de détourner tous les soirs l'eau de la scierie dans le canal de fuite, je descendais d'ordinaire le matin pour voir si quelques dégâts s'étaient produits pendant la nuit. Vers sept heures et demie, et, je crois, le 19 de janvier 1848,—car je ne suis pas bien certain du jour, mais c'était du 18 au 20,—je descendis comme de coutume. Après avoir fermé la vanne, j'entrai dans le canal de fuite, vers l'extrémité inférieure. Là, sur la roche, à environ six pouces au-dessous de la surface que l'eau venait d'occuper, je découvris l'or. J'étais tout à fait seul en ce moment. Je détachai un ou deux échantillons, et je les examinai attentivement. Ayant quelque connaissance générale des minéraux, je m'en rappelais deux, ressemblant de quelque façon à celui que je tenais: la pyrite de fer, très-brillante et cassante, et l'or, brillant, mais malléable. J'essayai donc mon échantillon entre deux pierres. Je m'aperçus qu'il pouvait recevoir, par le battage, différentes formes sans se briser. Quatre jours après j'allai au fort pour des provisions, et j'emportai environ trois onces d'or, que le capitaine Sutter et moi essayâmes avec de l'acide nitrique. Je fis ensuite un autre essai en présence de Sutter; je pris trois dollars d'argent, et les équilibrai dans l'air sur une balance avec de la poudre d'or. J'immergeai ensuite les deux plateaux dans l'eau, et le poids supérieur de l'or nous édifia à la fois et sur sa nature et sur sa valeur.»

Ce passage, que j'ai traduit en entier et textuellement, forme comme l'entrée en matière du Miners' own book, ou Livre des mineurs, petite brochure imprimée à San Francisco en 1858. Le récit qui ouvre ce livre me paraît avoir un degré d'authenticité suffisant, et je n'hésite pas à attribuer à Marshall les lignes qu'on vient de lire. On dira bien qu'il y discute sa découverte comme un membre de l'Institut, et que son essai à la balance rappelle, trait pour trait, la fameuse expérience d'Archimède. Mais de pareils faits ne sont pas surprenants chez les Américains, hommes de grand bon sens et d'instruction pratique. Quoi qu'il en soit, c'est bien à Marshall qu'est due la découverte de l'or en Californie. C'est bien ce Saint du dernier jour qu'il faut seul glorifier de cet événement, qui ne fut du reste, comme on l'a vu, qu'un pur effet du hasard.

C'est par cette heureuse découverte que se vérifia la croyance légendaire des anciens Mexicains, plus tard transmise aux Espagnols, d'un eldorado situé vers le Nord et sur les rives du Pacifique. On a prétendu que les anciens missionnaires de Californie, ou les Indiens eux-mêmes, connaissaient l'existence de l'or, et la tenaient cachée, pour une raison ou pour une autre; mais le fait n'est nullement prouvé. Il paraît aussi invraisemblable que d'autres colons, notamment des Américains, aient eu conscience de la richesse des terres aurifères du pays, au moins sur toute son étendue. Ce n'est donc qu'à l'année 1848 et à la série des faits qu'on vient de raconter qu'il faut reporter une découverte qui eut un si grand retentissement dès l'origine, et qui allait remuer le monde.

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