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Le grand-ouest des États-Unis : $b Les pionniers et les peaux-rouges : les colons du Pacifique.

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II

L'ARRIVÉE DES ÉMIGRANTS.

La découverte de l'or, que Sutter et Marshall auraient sans doute voulu tenir secrète, ne tarda pas à être connue. Elle fut d'abord divulguée à San Francisco, modeste bourgade qu'on appelait alors Yerba Buena. Quelques centaines de marchands y étaient établis depuis 1836, entre autres des Américains, prématurément installés dans un pays dont leur gouvernement préparait la conquête.

De San Francisco la nouvelle se répandit dans les divers ranchos ou fermes de Californie, alors aux mains des Mexicains, et dans les ports du littoral, comme Monterey, qui faisaient un certain commerce. Partout les Californiens abandonnèrent leurs demeures pour se ruer sur les placers. Puis les mille bouches de la renommée firent connaître la découverte de l'or à tous les coins de l'univers, d'où sortit une foule innombrable qui se dirigea vers la Californie.

Les Mexicains, qui venaient à point nommé de perdre ce sol qu'ils n'auraient pas su coloniser, se présentèrent les premiers. Beaucoup arrivèrent par terre, surtout de la Sonora, et, au nombre de dix à douze mille, fondèrent en Californie le camp des Sonoriens, qui a conservé leur nom, ou gardé du moins celui de Sonora. Avec eux accoururent en masse les Américains, auxquels la nature semblait avoir ménagé la découverte de l'or, au moment précis d'une conquête dont eux seuls pouvaient tirer parti. Le gouvernement de Washington n'avait été prévenu qu'à la fin de l'automne de 1848, et beaucoup d'Américains, pour gagner du temps, passèrent par les Montagnes-Rocheuses. D'autres traversèrent l'isthme de Panama, ou se décidèrent pour le voyage par le cap Horn, qui était alors de six mois. En même temps vinrent les Péruviens et les Chiliens, que leur métier de mineurs et surtout de laveurs d'or attirait comme les Mexicains. L'Europe, avertie la dernière, s'ébranla à son tour, et la France, l'Italie, l'Irlande, l'Allemagne tout entière vomirent leurs flots d'émigrants. Les pays immobiles de l'Asie s'émurent eux-mêmes, et la Chine vit successivement partir près de quarante mille de ses industrieux enfants. Enfin, des peuples qui n'avaient jamais voyagé, curieux pour la première fois, se confièrent au destin des flots. Resserrés dans leurs îles, qui les voyaient naître et mourir depuis le commencement du monde, les Kanaks de l'Océanie passèrent eux aussi les mers, et abordèrent en Californie pour y prendre part à la curée. Tous les peuples furent en quelque sorte conviés, et aucun ne manqua à l'appel.

Les Chinois, les Océaniens, les Espagnols du Mexique, du Pérou et du Chili arrivèrent par le Pacifique aux eaux si calmes le long des côtes. L'Américain du Nord vint, comme nous l'avons dit, par terre ou par le cap Horn, dont il dut, comme l'Européen, affronter les tempêtes et les froids rigoureux. Mais bientôt une nouvelle voie s'ouvrit à ces émigrants de l'Atlantique: ce fut celle de l'isthme de Panama, qui abrégeait les distances de plus des deux tiers. La voie ferrée, que le génie hardi des Américains a jetée d'un rivage à l'autre des deux Océans, n'existait pas alors, et ce n'était qu'à force de temps et d'argent que l'on pouvait traverser l'isthme. Le chemin se faisait partie en barque sur le fleuve Chagres, partie à dos de mulet jusqu'à Panama. Le trajet durait quelquefois cinq à six jours, au milieu d'embarras et de dangers sans nombre. Indiens et nègres de mauvaise foi, caïmans voraces dans les eaux du Chagres, bêtes venimeuses le long des rives, moustiques dévorants dans l'air, se partageaient comme à l'envi la tâche de créer un enfer autour du pauvre voyageur. Il est vrai qu'une végétation luxuriante, des arbres toujours verts et d'espèces les plus variées, des fleurs d'une forme et d'un éclat particuliers à ces contrées, en un mot toutes les beautés dont la nature se revêt sous les tropiques, venaient à leur tour le distraire. Mais des pluies torrentielles inondaient le sol pendant plus de six mois de l'année, et, pour couronner l'œuvre, les fièvres pernicieuses de l'isthme faisaient des milliers de victimes parmi les émigrants. Ceux-ci arrivaient souvent à Panama exténués et sans ressources. Mais qu'importaient tant de misères? La soif de l'or en aurait fait braver bien d'autres!

Un service régulier de bateaux à vapeur ne tarda pas à être établi par les Américains. De New-York à Chagres, ce fut la compagnie de la malle maritime des États-Unis qui mit la première ses steamers en mouvement, et de San Francisco, la malle maritime du Pacifique, dont les deux premiers bateaux à vapeur, California et Oregon, doublant le cap Horn, arrivaient à Panama d'abord, puis à San Francisco, dès les premiers mois de 1849. Ces demeures flottantes emportèrent, à des prix fort élevés, jusqu'à plus de 1,000 passagers à la fois. L'isthme mexicain de Tehuantepec fut aussi abordé, pour diminuer encore la longueur du voyage; de même que l'isthme de Nicaragua, dont on remonta une portion du fleuve San Juan, et dont le lac fut traversé en bateau à vapeur. Chacun put choisir sa route à son gré et sans trop attendre, car les départs se succédaient rapidement. Les navires anglais qui font le service de Southampton aux Antilles amenaient aussi à Chagres des flots d'Européens, qui de là gagnaient Panama. Ils se disputaient une place, un coin du steamer de San Francisco. Quand le navire, bourré d'émigrants, en laissait encore sur la plage, beaucoup de ces derniers, qui avaient hâte d'arriver ou qui craignaient de mourir en route, durent payer la cession d'un billet au double et au triple de sa valeur.

Cependant les travaux du chemin de fer de Panama étaient ardemment poursuivis. Ce hardi railway, projeté dès 1850, fut successivement livré à une circulation partielle en 1852 et en 1854, et enfin complétement terminé en janvier 1855. L'esprit si entreprenant des Américains pouvait seul mener à bonne fin une opération jusque-là déclarée impossible. Il est fâcheux toutefois que la voie n'ait été achevée que lorsque l'émigration européenne s'est presque entièrement arrêtée.

La ligne ferrée de Chagres ou Aspinwall à Panama mesure environ 80 kilomètres ou 20 lieues. La dépense a été de près de 32 millions de francs de notre monnaie, soit 400 francs par mètre. C'est plus que la dépense moyenne de nos chemins de fer européens. La somme paraît d'autant plus forte qu'il n'y a pas de gares intermédiaires, et que les travaux d'art le long de la voie sont très-peu considérables. Le sol vaseux sur lequel il a fallu s'établir et le prix excessif de la main-d'œuvre ont seuls occasionné le coût énorme du chemin de fer de Panama. Mais la dépense ne serait rien encore sans le nombre incalculable d'ouvriers qui ont succombé sous ce climat pestilentiel. On a compté les morts par plusieurs milliers à la fois, et la voix populaire dit que le nombre des traverses du chemin marque presque le nombre des victimes. C'est ainsi que les batailles de l'industrie comptent quelquefois leurs morts comme les batailles militaires.

Pendant que la route ferrée était en cours d'exécution, rien ne pouvait arrêter l'émigrant: ni les périls de la mer, ni les incertitudes d'un long voyage, ni les fièvres si dangereuses de l'isthme ou les tempêtes du cap Horn, ni les frais énormes du parcours. Rien ne devait mettre obstacle à l'ardeur de s'enrichir qui s'était emparée des masses. San Francisco, qui n'avait que 500 habitants en 1847, en comptait déjà 1,200 en 1849, dès la première arrivée des mineurs; et à la fin de cette même année, près de 100,000 chercheurs d'or arrivaient en Californie, dont plus de 80,000 Américains. En 1852, époque où le courant européen cessa d'agir, San Francisco ne possédait pas moins de 35,000 habitants, et la Californie en comptait déjà plus de 260,000 contre 10 à 15,000 seulement qu'elle en avait, non compris les Indiens, avant la découverte de l'or.

Il convient de s'arrêter à cette première étape, et d'assister à l'enfantement californien de 1849 à 1852, accompli au milieu de l'affluence toujours croissante des arrivants.

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