Le grand-ouest des États-Unis : $b Les pionniers et les peaux-rouges : les colons du Pacifique.
IV
L'ÉTABLISSEMENT D'UNE CONSTITUTION.
Le besoin de se réglementer et de se donner une constitution est inhérent à l'Américain, de telle sorte que, si l'ordre chronologique eût été de rigueur dans cette étude, j'aurais dû parler tout d'abord de la constitution californienne.
Dès le mois d'avril 1849, les immigrants arrivaient en grand nombre, et la Californie renfermait déjà, et bien au delà, le chiffre de 30,000 habitants fixé par la constitution fédérale pour la formation d'un État. En outre, le désordre régnait à peu près partout, et l'absence de lois et de toute direction produisait les plus grands troubles dans l'administration du pays. En conséquence, dès le 3 août 1849, le général Riley, gouverneur au nom des États-Unis du territoire de Californie, fit une proclamation où, exposant la situation irrégulière et peu stable du pays, il invitait le peuple à déléguer des représentants à une Assemblée ou Convention constituante. Celle-ci devait se réunir à Monterey le 1er septembre 1849, et promulguer la constitution de l'État.
A la date fixée, quarante-huit députés seulement, sur soixante-treize élus, se rendirent à Monterey et, dès le 4 septembre, le président et le secrétaire de cette chambre improvisée étaient nommés par les constituants.
Il existe un tableau curieux qui, en nous donnant le nom et l'âge des députés, nous indique de plus leur lieu de naissance, leur profession et l'époque de leur établissement en Californie. La plupart des députés étaient Américains, comme on le pense, et l'âge de tous était compris entre vingt-cinq et cinquante ans, âge où l'on apprend chez nous à obéir aux lois plutôt qu'à les faire.
Un nom français et quelques noms espagnols surnagent au milieu des noms américains, où ils apparaissent comme les représentants clair-semés de la race latine. Les Espagnols sont nés en Californie, et sont, par conséquent, de race mexicaine, hormis un seul, venu d'Europe, mais qu'un séjour de douze ans a suffisamment naturalisé dans le pays. Le Français, dont on peut citer le nom, M. Sainsevain, résidait depuis presque aussi longtemps dans la contrée. Un Écossais et un Irlandais viennent comme à plaisir se perdre avec le Français parmi les noms américains, et semblent placés là comme pour représenter dans toute sa pureté cette vigoureuse race gaélique qui n'a pu encore, sur le continent européen, se fondre avec la race anglo-saxonne. L'Écossais, fermier, était établi à los Angeles depuis seize ans; l'Irlandais, homme de loi, venu de New-York, faisait depuis trois ans de la procédure en Californie.
Le nom de l'Helvétien Sutter apparaît aussi dans la liste, et c'était justice, non que la race germanique eût besoin d'être représentée, mais c'était à lui, ou du moins à son employé Marshall, le Mormon, qu'était dû tout le mouvement qui s'opérait.
En dehors des rares exceptions que l'on vient de citer, le reste des députés était composé d'Américains, installés à peu près tous en Californie depuis un certain nombre d'années.
Quelques-uns de ces honorables représentants sont aujourd'hui décédés, mais c'est le petit nombre: on vit longtemps sous le beau ciel californien. Tous les autres sont à cette heure encore en Californie. Ils sont revenus à leurs boutiques, à leur négoce ou à leurs études, car il y avait comme toujours une quantité considérable d'avocats et d'hommes de loi parmi eux. Ce n'est pas seulement en Europe que la profession du barreau porte aux honneurs de la députation et des ministères; il en est de même aux États-Unis, et l'on peut remarquer presque toujours que les candidats qui se disputent la succession à la présidence de la grande république sont devenus avocats, après avoir commencé autrement.
Après les avocats, et avant les hommes de banque ou de négoce, venaient, dans la députation californienne, les fermiers ou colons. Ils sont paisiblement retournés à leurs champs, où ils ont repris de bonne grâce, comme Cincinnatus, le manche de la charrue.
Si l'on désire, du reste, connaître l'exact dénombrement de ces premiers législateurs californiens, voici comment ils se groupaient: 16 avocats, représentant sans doute la justice; 14 fermiers, le travail de la terre; 10 banquiers, négociants et marchands, le commerce; 2 imprimeurs, la presse ou la pensée; 1 médecin, l'humanité souffrante. L'armée était, de son côté, représentée par 1 officier des troupes fédérales et 1 lieutenant de volontaires; la marine, par 1 officier de vaisseau; enfin, le corps savant du génie, par 1 ingénieur de l'Union et 1 ingénieur civil. Ce qui formait en tout 48 membres, comme il a déjà été dit.
Parmi les vingt-cinq représentants qui n'acceptèrent pas leur mandat, il y a deux noms français et trois espagnols. Cette négligence s'explique aisément chez ces hommes de race latine peu empressés de quitter leurs affaires pour faire acte de souverains. Mais ce qu'on a peine à comprendre, c'est l'absence des vingt-deux autres constituants, tous de noms anglo-américains. Il fallait que la soif de l'or fût bien vive et l'abondance des pépites bien grande dans les districts où ils furent nommés. La plupart des manquants appartenaient en effet aux districts de Sacramento et de San Joaquin, que l'on compte aujourd'hui encore parmi les plus aurifères. Ce n'est jamais qu'à la dernière extrémité que l'Américain renonce au plaisir de représenter ses concitoyens. Le suprême bonheur pour lui n'est-ce pas d'être envoyé à la législature de son État, sinon au congrès fédéral, d'y voter des lois, et d'y faire surtout de ces speeches sans gêne qui caractérisent le député anglo-saxon, qu'on l'entende en Angleterre ou aux États-Unis?
La convention californienne, réunie à Monterey, s'ajourna sine die le 13 octobre 1849, après une session de quarante-trois jours. Avant de se séparer elle promulgua la constitution de l'État de Californie, travail de grande importance et d'un haut poids, dit un Californien, et qui fut mené à fin d'une façon aussi honorable pour les députés que pour leurs commettants. La constitution fut présentée au peuple appelé à la ratifier ou à la rejeter. Le peuple l'accepta à une immense majorité. A la suite de cette adoption populaire, elle fut communiquée officiellement au gouvernement fédéral. Mais l'Oncle Sam, comme on l'appelle, se montra moins empressé que les Californiens. Ce qui lui donnait à réfléchir, c'est que le nouvel État n'admettait pas l'esclavage dans son sein, offrant ainsi un exemple à suivre à tous les futurs États du Pacifique. Aussi l'Oncle Sam n'accorda-t-il son approbation que dans le courant de l'année 1850. Les Californiens attendaient cet heureux moment avec la plus vive impatience, et quand le vapeur, porteur de la nouvelle, entra tout pavoisé à San Francisco, il y eut une explosion de joie publique. Dès cet instant la constitution put être mise en vigueur, et l'État de Californie reçut une existence légale.
Arrêtons-nous un moment sur cet acte si important dans la vie d'un peuple, celui par lequel il se donne des lois. Voyons comment les Californiens, dont on s'occupait alors en France à un tout autre point de vue, promulguaient une constitution qui vit toujours intacte, et vivra sans doute encore bien longtemps. N'oublions pas surtout, avant de commencer cet examen, qu'à la même époque d'autres peuples en Europe élaboraient avec bien des fatigues des constitutions fragiles auxquelles leurs auteurs devaient survivre. La constitution de la Californie, au contraire, n'a subi aucun changement, et l'on ne peut se dispenser de reconnaître à l'Américain une grande pratique des affaires de son pays, un sens droit, et un esprit exercé qui suppléent, dans presque tous les cas, à son manque de connaissances approfondies.
La constitution de l'État de Californie s'ouvre d'une manière solennelle:
«Nous, le peuple de Californie, rendant grâce au Dieu tout-puissant de notre liberté, et pour en assurer les avantages, établissons cette constitution.»
Vient alors l'article 1er, qui contient la déclaration des droits. La fameuse déclaration des droits de l'homme ne fut certes pas plus explicite.
«Tous les hommes, dit la constitution californienne, sont par nature libres et indépendants, et ont certains droits inaliénables, parmi lesquels sont ceux de jouir de leur vie et de leur liberté et de les défendre; d'acquérir, de posséder et de protéger leurs propriétés...
«Tout pouvoir politique réside dans le peuple. Le gouvernement est institué pour la protection, la sécurité et le bénéfice du peuple, et le peuple a le droit de changer ou de réformer le gouvernement quand le bien public le demande.
«Le droit d'être jugé par un jury spécial est assuré à tous, et demeure à jamais inviolable.
«Le libre exercice de toutes les religions, sans distinction ni préférence de culte, est à tout jamais accordé dans l'État.
«Tout accusé peut reprendre sa liberté sous caution, excepté dans le cas d'un crime capital.
«Tout citoyen peut librement parler, écrire et publier ses opinions sur tous les sujets, et aucune loi ne pourra restreindre ou supprimer la liberté de la parole ou de la presse.
«Le peuple a le droit de s'assembler librement, de délibérer sur le bien commun, d'instruire les représentants et de pétitionner à la législature.
«Le pouvoir militaire sera subordonné au pouvoir civil. Aucune année permanente ne sera entretenue par l'État en temps de paix. Aucun soldat ne sera logé dans une maison sans le consentement du propriétaire.»
Viennent ensuite une série de paragraphes proscrivant l'emprisonnement pour dettes et les lois d'exil; assurant aux étrangers résidants tous les droits des citoyens indigènes; défendant complétement l'esclavage; reconnaissant le droit inviolable de chacun d'assurer sa personne, ses biens meubles ou immeubles et ses papiers contre toute recherche ou saisie illégales. Enfin, comme si cette déclaration des droits n'était pas assez complète, un dernier paragraphe ajoute que l'énumération précédente n'infirme et ne diminue en rien tous les autres droits qui résident dans le peuple.
Il eût été bon, à côté de cette déclaration des droits du citoyen, d'inscrire l'énumération de ses devoirs, ce qu'aucune constitution ne fait. On peut ajouter, il est vrai, que l'Américain se montre généralement pénétré de ses devoirs politiques, et qu'il sait toujours les accomplir.
Le deuxième article de la constitution détermine le droit de suffrage. Tout citoyen mâle et de race blanche, âgé de vingt et un ans, et résidant en Californie depuis six mois, a le droit de voter à toutes les élections. Sont citoyens, dans ce cas, ceux originaires des États-Unis, et les Mexicains qui auront déclaré, au moment de la conquête, leur intention de devenir citoyens américains. Il n'est question que pour la forme des Indiens, ces maîtres dépossédés du sol, et c'est sans doute par dérision que la constitution s'occupe de leur admission possible à la législature. Il y a une injustice criante dans ce privilége exclusif des droits politiques que s'arroge la race blanche en Amérique, et je reviendrai, dans le cours de cette étude, sur l'oppression honteuse et l'espèce de proscription qui, en Californie comme dans tous les États de l'Union américaine, frappe encore les races de couleur.
La constitution s'occupe ensuite de la distribution des pouvoirs, qui sont divisés en trois départements séparés: le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire.
Un article spécial fixe les attributions du pouvoir législatif, composé d'un sénat et d'une assemblée, qui portent collectivement le nom de législature de l'État. Chaque loi est promulguée par le sénat, au nom du peuple de Californie, et dans ces termes:
«Le peuple de l'État de Californie, représenté en sénat et assemblée, arrête et ordonne ce qui suit.»
Les sessions de la législature sont annuelles et doivent commencer dans le mois de janvier.
Les membres de l'assemblée sont élus tous les ans; ceux du sénat sont nommés pour deux ans, et le renouvellement s'en fait par moitié chaque année.
Pour être élu à la législature, il faut être citoyen américain, résider depuis un an dans l'État, et avoir vingt et un ans accomplis.
Le nombre des sénateurs doit être au minimum d'un tiers, au maximum de la moitié du nombre des membres de l'assemblée. Le nombre de ces derniers ne doit pas excéder quatre-vingts.
Chaque chambre nomme ses officiers. Les séances sont publiques, et le résultat en est publié avec le vote de chaque député.
Tout projet de loi provenant de l'une des chambres peut être amendé par l'autre. Chaque bill n'a force de loi qu'après avoir été approuvé par le gouverneur de l'État; mais si cette approbation est refusée, ce bill peut néanmoins devenir loi sans la sanction du gouverneur, s'il est adopté de nouveau par les deux chambres, à la majorité des deux tiers des membres présents.
Les membres de la législature reçoivent un traitement, mais ils ne peuvent être nommés à un autre emploi, ni en exercer aucun pendant toute la durée de leur mandat.
La législature ne peut octroyer le divorce, ni autoriser aucune loterie.
Le chef du pouvoir exécutif prend le titre de gouverneur de l'État de Californie. Il est nommé pour deux ans à l'élection. Il doit, lors du vote, résider depuis deux ans dans le pays, et être âgé de plus de vingt-cinq ans. Le gouverneur est de droit commandant en chef de la milice et des armées de terre et de mer. Il veille à l'exécution des lois, convoque la législature dans les cas extraordinaires, et lui envoie son message au commencement de chaque session. Il a le pouvoir de diminuer les peines et le droit de grâce.
Le vice-gouverneur ou lieutenant-gouverneur est aussi nommé à l'élection, préside le sénat et remplace le gouverneur dans des cas prévus.
Un secrétaire d'État assiste le gouverneur.
Le pouvoir judiciaire, auquel est consacré un article à part de la constitution, réside dans une cour suprême, dans les cours de district, dans celles de comté, et dans les justices de paix. C'est, d'ailleurs, l'importance des affaires qui règle la juridiction à laquelle elles doivent être soumises, et il ne faudrait pas comparer la cour suprême de l'État californien à notre cour de cassation, ni ses cours de district à nos cours d'appel et ses cours de comté à nos tribunaux de première instance. Enfin, outre les diverses cours de justice de l'État californien, il y a aussi la cour des États-Unis, dite cour de circuit. Là siégent les juges fédéraux envoyés de Washington pour appliquer les lois de l'Union et veiller à leur exécution.
Tous les magistrats sont nommés à l'élection. Ceux de la cour suprême et les juges des cours de district le sont pour quatre ans, les juges de paix pour deux. Aucun officier judiciaire, excepté les juges de paix, ne doit recevoir d'argent des justiciables.
La justice est rendue «au nom du peuple de l'État de Californie.»
Les légistes européens verront sans doute, même en tenant compte des mœurs politiques des États-Unis, un grave inconvénient dans l'élection temporaire des juges par le peuple. Je ne sais si quelques juges californiens ne se sont pas montrés quelquefois trop cléments afin d'être réélus, ou n'ont pas cédé d'autres fois à des intimidations menaçantes, comme dans les cas où les comités de vigilance ont dû prendre leur place; mais j'ai entendu dire à San Francisco, même à des commerçants français qui comptaient plusieurs années de séjour dans le pays, qu'on était généralement satisfait de la manière dont la justice était rendue. D'ailleurs, l'opinion publique a une telle force aux États-Unis, qu'elle s'impose à tous les citoyens, et qu'un mauvais jugement serait sévèrement censuré par elle.
Un article de la constitution californienne prévoit l'organisation de la milice de l'État, véritable garde nationale prête à marcher dans tout moment de péril, et laisse à la législature le soin d'établir une loi sur le service militaire que tout citoyen doit à son État.
Un autre article de la constitution règle la façon dont l'État pourra contracter une dette. Cet article impose des limites au pouvoir de la législature de voter des emprunts, et dans certains cas appelle le peuple en masse à se prononcer.
Un article spécial est ensuite consacré à cette grande question d'intérêt public, qui n'est nulle part négligée aux États-Unis: l'éducation de l'enfance. Un inspecteur de l'instruction publique est nommé pour trois ans par le peuple. La législature doit encourager, par tous les moyens convenables, tout ce qui peut exciter les améliorations et les découvertes dans l'ordre intellectuel, moral, scientifique ou agricole. Une partie du revenu ou de la vente des terres publiques est réservée, comme dans tous les États de l'Union, à l'entretien des écoles. La législature a encore développé ces heureuses dispositions.
Le mode d'amendement et de révision de la constitution est prévu par un article ad hoc. Un autre article règle, sous le titre de dispositions diverses, miscellaneous provisions, différentes questions importantes. Ainsi, le premier paragraphe fixe le siége de la prochaine session de la législature à San José, et non plus à Monterey. On a transféré, depuis, la législature à Vallejo, à Benicia et à Sacramento, où elle tient encore aujourd'hui ses séances. En déplaçant ainsi, de temps en temps, le siége du parlement, aucune ville n'est la capitale exclusive de l'État, et le mouvement qu'entraînent avec eux les cent vingt députés ou sénateurs siégeant ensemble profite tour à tour à différents centres, sans en favoriser aucun au détriment de tous les autres. Cependant, on incline aujourd'hui à penser que ce système n'était bon qu'à l'époque de la naissance du pays, et Sacramento paraît devoir prendre le titre définitif de capitale de la Californie. On y établit même un capitole. On sait que l'on décore de ce nom romain, aux États-Unis, le lieu des séances de la législature de chaque État.
Un paragraphe particulier de la constitution défend le duel. Ceux qui violeront cette prescription seront déchus du droit de suffrage, et privés de leurs charges s'ils occupent un emploi public. Malgré ces peines de déchéance, si sensibles pour tout Américain, on ne se bat pas moins en duel en Californie, en comptant sur la clémence du jury.
Il y a eu, à San Francisco des duels nombreux, auxquels une partie de la population a souvent assisté. Le scandale a quelquefois dépassé toutes limites. Ainsi, en octobre 1859, le sénateur californien au congrès de Washington, Broderick, et le juge à la cour suprême de Californie, David Terry, le même que le comité de vigilance avait failli pendre en 1856, se battaient dans un duel à mort devant plus de cent spectateurs, et après avoir été une première fois dispersés par les constables. Le duel eut lieu au pistolet, et Broderick succomba. Terry, comme on s'y attendait, a été acquitté par le jury, après une information dérisoire.
Un autre paragraphe de la constitution fixe la formule du serment pour les sénateurs, les députés et les employés de l'État. Ils doivent jurer de défendre la constitution des États-Unis et celle de l'État de Californie, et de remplir fidèlement les devoirs de leur charge.
Le dernier article de la constitution marque les limites de l'État de Californie.
A la suite, sous le titre d'appendice ou schedule, viennent certaines dispositions applicables à l'état particulier où se trouvait alors le pays. Il y est dit que la constitution sera soumise à l'approbation du peuple. En outre, les deux sénateurs qui seront choisis par la législature, ainsi que les députés qui seront nommés par le peuple pour représenter la Californie au congrès des États-Unis, seront pourvus de copies certifiées de la constitution, si elle est ratifiée par le peuple. Ils les présenteront au congrès de Washington, lui demandant, au nom du peuple de Californie, l'admission du nouvel État dans l'Union américaine. Nous avons vu que cette admission fut prononcée par l'oncle Sam après mûre délibération. La Californie, trente et unième État de l'Union, qui en compte aujourd'hui trente-six, eut dès lors le droit d'appeler les autres États ses sœurs (state-sisters), suivant la curieuse dénomination en usage aux États-Unis.
J'ai cru devoir exposer avec quelque détail la constitution californienne pour bien faire comprendre ce que sont les mœurs politiques dans un nouvel État de l'Union. On pourra reprocher à cette constitution un esprit démocratique trop prononcé; mais nous répondrons qu'elle est encore observée aujourd'hui comme aux temps où elle a été faite, et que personne ne songe à la violer. On objectera contre un système électoral si largement organisé quelques cas particuliers de fraudes, de corruptions ou même de compétitions par trop vives. Ces objections sont fondées; mais quand le peuple est appelé en masse dans ses comices, il n'y a pas lieu de s'étonner que quelques faits fâcheux se produisent. Toujours est-il qu'à l'époque où l'on ne voyait dans la Californie qu'une réunion d'aventuriers et de brigands, une agglomération d'hommes sans gouvernement régulier, sans aucune loi que la loi de Lynch, avec des juges siégeant armés du revolver, ce pays offrait pourtant à l'Europe un bel exemple, que celle-ci ne pouvait apprécier, parce qu'elle était trop loin, et surtout très-mal informée. La Californie se donnait alors, sans secousse et sans bruit, une constitution des plus libérales, et dont on peut déjà constater la solidité.
Ce n'est pas que je veuille établir le moindre rapprochement entre l'Amérique et l'Europe. Le parallèle n'est pas possible, et l'on ne saurait comparer un peuple jeune, un peuple qui peut s'étendre partout, parce que le terrain s'étend partout devant lui, à des peuples anciens, condensés et agglomérés, auxquels l'air même manque quelquefois. Enfin, on ne doit point chercher à opposer un peuple né d'hier et libre de tout frein aux peuples de l'Europe, qui suivent les traditions de leur histoire, et dont les mœurs et les coutumes diffèrent autant de celles des Américains. On ne peut cependant nier que toutes les races différentes qui se rencontrent en Californie ne s'accommodent très-bien des institutions libérales qui y règnent, et l'on ne saurait oublier non plus que ces mêmes institutions ont merveilleusement aidé aux développements rapides de la colonisation de ce pays. C'est là un point qu'il ne faut pas perdre de vue.