Le livre commode des adresses de Paris pour 1692, tome 2/2
DIVERSES ADRESSES
Concernant des talens distinguez des articles
précédens.
Entre les Orlogeurs qui sont en réputation pour les Montres et Pendules, sont Messieurs Turet aux Galeries du Louvre[1], de Mergue Cour Neuve du Palais, Cribelin rue de Bussy, etc.
[1] Il avoit ce logement des galeries depuis le 30 janvier 1686 : « Isaac Turet, écrit G. Brice, horloger de l’Académie des Sciences, qui a beaucoup contribué à perfectionner la pendule. » (3e édit., t. I, p. 73.) Il ne faut pas le confondre avec Huret « horlogeur du Roy », gendre de Bérain.
Le Sieur Chambon habile Guainier, demeure Cour neuve du Palais.
Le Sieur le Sansonnier Ecrivain Juré de l’Université, a le talent de bien dresser et de bien écrire les Placets sur quelque sujet que ce soit, dont il garde religieusement le secret[2], son Bureau est à l’Hôtel de la Préférence sous le Cadran de l’Eglise des Innocens.
[2] Blegny nous surfait beaucoup l’honnêteté de l’écrivain-juré. Il n’étoit rien moins que sûr. Il fut compromis, en 1699, avec les prévaricateurs du commerce des blés et arrêté. Les détails de son affaire se trouvent dans les mss. Delamarre, à la Biblioth. Nat., no 21,644, p. 187.
Le Sieur le Febvre rue de Venise au quartier de la rue Quinquempoix, vend et loue des chevaux à toutes mains.
Nicolas le Heurteur, aporte à Paris de Fleury-la-Forest en Normandie, toutes sortes de boettes de Liettiers[3] qu’il vend en gros à juste prix ; il vient ordinairement deux fois le mois et loge rue Montorgueil à l’image saint Nicolas.
[3] C’est laïettier qu’il faut lire. La « laïette » n’étoit, en effet alors, qu’une de ces sortes de boîtes qu’on faisoit venir de Fleury-la-Forest, près les Andelys, d’où il n’en vient plus : « petit coffre de bois, dit Richelet, qui n’a qu’une simple serrure, et qui n’est couvert ni de peau ni de cuir. »
Le Bois d’Ebène et de Gayac, sont commercez en gros par M. Coquart rue Simon le Franc.
La Dame Passavant[4] près la Magdelaine a le talent de bien faire les Bonnets carrez.
[4] « Sage-femme. » Édit. 1691, p. 26.
On fait des Calottes de toile jaune et de ratine à mettre sous les perruques, chez un Calotier à la porte neuve du Palais.
La Manufacture de Stuc Cuit[5] est au fauxbourg saint Antoine.
[5] Le stuc est toujours cuit. C’est du plâtre mêlé de poudre de marbre, qu’une forte cuisson durcit, et permet de polir. On en faisoit alors des plafonds, sur lesquels on peignoit comme à fresque.
Les faiseurs de Fourneaux et de Creusets servant à la Chimie, demeurent place de l’Hotel de Conty, rue Mazarini et au fauxbourg saint Jacques.
Le Sieur Rohault Emailleur[6] rue saint Denis, fait des Figures et Aigrettes d’émail.
[6] V. les notes sur lui et sur Hubin, qui suit, au chapitre du Commerce de Curiositez, t. I, p. 242.
Les Yeux artificiels se font chez le même Hubin rue saint Martin et chez le Sieur le Quin rue Dauphine.
La Folie rue du petit Pont[7], et Thevenot rue Git le Cœur, affichent pour le public.
[7] Dans la première édit., p. 59, son adresse est donnée « rue de la Huchette, aux Trois-Bources ». A la suite, vient « le Comte, rue du Petit-Pont, à la Rose-Rouge ».
Le Sieur Bara qui vend du Canepin[8] pour boucher les bouteilles, demeure au cul de sac de la porte saint Martin[9].
[8] On appeloit ainsi l’épiderme de peau d’agneau ou de chevreau. Il avoit servi, comme un vélin très-fin, pour écrire ; et nous ne serions pas surpris que le mot calepin en fût venu, quoi qu’en dise l’étymologie courante.
[9] Les Bara étoient nombreux dans Paris et d’industries différentes. Mme Sand, Histoire de ma vie, t. I, p. 19, en cite un, qui avoit été parrain de sa mère, et dont nous avons connu le petit-fils, qui vendoit des oiseaux, comme son aïeul, au coin de la rue Saint-Claude et du boulevard, dans l’hôtel où avoit logé Cagliostro. Le grand-père de Mme Sand étoit lui-même « maître oiselier » et de plus « maître paulmier », ce qui ne nous surprend pas, les marchands d’oiseaux faisant volontiers plusieurs métiers. Un d’eux, que Blegny n’auroit pas dû oublier au chapitre du Commerce de Curiositez, s’étoit enrichi à vendre toutes sortes de bijoux, après n’avoir d’abord vendu que « des cages de prix et des oiseaux ». On ne l’appeloit pour cela que l’Oyselier. Son vrai nom ne nous est pas parvenu. (Mercure galant, nov. 1683, p. 287.) Chevreau parle de lui dans cette note de ses Œuvres meslées, 1697, in-8o, p. 200 : « L’Oiselier étoit un fameux marchand de Paris, qui vendoit à toute la Cour toutes sortes de curiosités. »
Le Sieur Dalesme[10] rue saint Denis près la fontaine la Reine, vend des Plumes et Semelles d’acier de son invention, et encore un Tuyau de tolle de fer, où l’on brule le bois sans cheminée et sans fumée.
[10] André Dalesme, qui, de simple marchand de tuyaux fumivores, devint membre de l’Académie des Sciences. On voit ici qu’il avoit devancé les inventeurs de plumes d’acier. Il toucha de près aussi à l’invention du Thermolampe et à celle de la machine à vapeur. V. sur lui, le Vieux-Neuf, 2e édit., t. II, p. 384-385.
La bonne faiseuse de Mouches demeure rue saint Denis à la perle des Mouches[11].
[11] Blegny auroit bien dû nous dire son nom. Nous aurions su ainsi — ce qui ne manquoit pas de curiosité — si c’étoit toujours la femme Chevalier, dont, suivant l’auteur du Peintre-Graveur, la fille Madeleine avoit épousé le peintre Bernard, et étoit devenue mère du fameux financier Samuel Bernard. — V. dans nos Variétés, t. VII, p. 9, une pièce de 1661, La faiseuse de mouches.
Les Manufactures de Toilles cirées sont dans la grande rue du fauxbourg saint Antoine[12].
[12] C’est à Paris qu’il s’en fabriquoit le plus. Jusqu’à la fin du dernier siècle, le secret de l’enduit des toiles cirées fut gardé par ceux qui les fabriquoient.
Les Boisseliers de la Halle au bled font[13] les tamis d’Apoticaires et de Parfumeurs.
[13] « Un particulier commerce de tamis à passer les poudres. » Édit. 1691, p. 64.
Le Sieur Barbier qui indique des Privilèges à vendre et à louer pour les Arts et Métiers, demeure rue des Lombars au Plat d’Etain.
Le Sieur Jo et quelques autres Potiers d’Etain près la porte saint Marcel, font de grandes et petites Seringues qu’ils vendent aux Marchands à juste prix.
Le Sieur Colson fauxbourg saint Antoine devant la rue de Charonne, a un particulier talent pour monter les Scelets[14] de toutes sortes d’Animaux, et pour les monter en poil et en plumes.
[14] C’est ainsi qu’on écrivoit encore squelette. L’orthographe d’Ambroise Paré se rapproche toutefois un peu plus de cette dernière forme : « une desquelles, dit-il, parlant d’autruches qu’on faisoit voir à Paris, estant morte, me fut donnée, et en fis un scelette. » Ailleurs, il dit un « sceletos », se rapprochant ainsi tout-à-fait du mot grec, d’où vient squelette, et qui signifie séché.
M. Antoine, Chevalier et Medecin Général des Hopitaux du saint Esprit[15], logé au Collège de Boncour, se dispose à donner des preuves publiques du secret qu’il dit avoir trouvé, pour connoitre par la disposition des poux et des urines, les causes cachées et les crises futures des plus extraordinaires maladies ; il a une nouvelle espèce de plante Sensitive[16] que les curieux ont veüe avec admiration.
[15] Il n’y avoit à Paris qu’un hôpital du Saint-Esprit, celui qui occupoit tout le côté gauche des bâtiments qu’envahit ensuite tout entiers son voisin l’Hôtel-de-Ville. On n’y recevoit que des orphelines légitimes et il s’appeloit aussi Hôpital des Enfants-Dieu.
[16] La Sensitive, mimosa pudica, bien qu’elle eût été importée d’Amérique sous Henri IV, par Robin, avec les autres espèces du genre acacia, n’étoit pas encore bien connue, comme on le voit ici. L’Académie des Sciences ne s’en étoit même pas encore occupée. Mairan n’en fit l’objet d’un premier travail qu’en 1729, puis on eut en 1736 le mémoire plus complet de Du Fay.
Le Sieur Lelot sur le Quay neuf[17] à la Perruque d’or, trace et peint les Cadrans au soleil[18].
[17] On appela presque toujours ainsi, jusqu’au commencement du XVIIIe siècle, comme on le voit par le Journal de Barbier, édit. in-18, t. I, p. 142, le quai voisin de la Grève, construit, en 1675, sous la prévôté de Claude Le Pelletier, qui lui avoit donné son nom.
[18] Il étoit rare qu’il n’y eût pas dans la cour ou le jardin de chaque hôtel un de ces cadrans peints sur la muraille en bonne exposition.