Le livre commode des adresses de Paris pour 1692, tome 2/2
PEINTURES, SCULPTURES ET DORURES
POUR LES ORNEMENS ET DÉCORATIONS DES
APPARTEMENS, BOUTIQUES, ETC.
Les Jurez en titre d’office des Maitres Peintres, Sculpteurs et Doreurs sont Messieurs Maçon rue du Verbois, Béton près le Palais Royal, Rosé rue des fossez saint Germain et de la Porte à petit Pont[1].
[1] On ne parloit jamais autrement pour dire « sur le Petit-Pont », qui, on le sait, étoit alors chargé de maisons, chacune avec sa boutique.
La Chambre où les Maitres Peintres et Sculpteurs font leurs assemblées, est présentement rue de la Verrerie.
Les Peintres et Sculpteurs qui travaillent pour le Roi, donnent aussi quelque fois leur temps pour des ouvrages particuliers lorsqu’ils sont considérables.
Entre les Peintres renommez dans le public pour les Ornemens et Décorations, on estime Messieurs le Moyne le Lorrain aux Galeries du Louvre[2], le Moyne de Paris[3], cul de sac saint Sauveur, etc.
[2] G. Brice, dans sa 3e édition (1701), t. I, p. 76, nous le montre aussi parmi les artistes logés aux galeries : « Excellent peintre d’ornement, dit-il, dont les ouvrages ont beaucoup d’approbation. »
[3] Jean Le Moyne, qui dans le Ms. de Marinier figure parmi les décorateurs employés à Versailles. L’Académie de peinture, qui l’avoit fait son décorateur en 1681, le reçut cinq ans après. Il mourut à soixante-quinze ans, le 3 avril 1703.
Entre les Peintres renommez pour feindre le marbre, on compte Messieurs Binois près saint Innocent, Valencé rue du Petit Lion, etc.[4]
[4] Blegny devroit parler ici des peintres de l’Académie de Saint-Luc. Liger, p. 313, y supplée : « Il est, dit-il, un autre genre de peintres du dernier ordre, qu’on nomme communément barbouilleurs, et qu’on trouve lorsqu’on en a besoin dans la rue du Haut-Moulin, où est leur chapelle. On les y voit tous les dimanches et les fêtes au sortir de la messe. » V. aussi l’abbé de Fontenay, Dict. des Artistes, t. I, p. 3.
Entre les fameux Sculpteurs pour les bas reliefs et figures moulées en plâtre, on distingue Messieurs Cassegrain près la porte saint Martin, François[5] rue du Temple, Bertrand[6] rue Michel le Comte, de Caen rue de Grenelle saint Germain, etc.
[5] Il a été parlé de lui plus haut.
[6] Philippe Bertrand, né à Paris en 1664, selon d’Argenville, reçu de l’Académie en 1700, mort en 1724. Le Christ en plomb de la Samaritaine, du Pont-Neuf, étoit de lui.
Entre les Sculpteurs renommez pour les belles bordures[7], on choisit Messieurs le Grand rue des Jeuneurs, Renauda[8] rue du petit Lion, la Lande rue saint Martin, et Vilaine rue neuve saint Mederic qui fait aussi des meubles dorez.
[7] Cadres de bois sculpté pour les portraits ou « les glaces de miroir », comme dit Richelet.
[8] Lisez Renaudin ou Renaudain. C’étoit un parent de celui qui logeoit aux galeries du Louvre, et dont il a été parlé plus haut, p. 100.
M. des Oziers Doreur qui travaille pour le Roy[9], entreprend aussi pour le public de grands ouvrages.
Les bons tableaux sont netoyez[10] et revernis en perfection par les Sieurs Vilaine à l’adresse cy-dessus, de la Pierre quay des Orfevres, et la veuve Lange rue saint André des Arcs.
[10] Ce mot sous cette forme n’étoit pas généralement employé. Richelet dans son Dictionnaire écrit : « Netteier, nettoyer. L’un et l’autre se dit, mais le grand usage est pour netteier, car pour nettoyer il ne se dit guère que par les poëtes, encore y sont-ils obligés par la tirannie de la rime. »
Les prix ordinaires du marbre brute et façonné, et des autres ouvrages et fournitures des Peintres, Sculpteurs et Doreurs sont pour,
Le pied cube de marbre noir brute 7 l.
Et pour le Marbre jaspé brute, le pied cube 15 l.
Mais quand un bloc de Marbre est de douze pieds et au dessus, le pied cube se paye depuis 18 jusqu’à 25 livres.
Le pied de parement vaut 2 l.
Le pied de Chambranle en bois d’ornemens simples 3 l.
A Ornemens moyens 4 l.
A ornemens riches 6 l.
Une figure de pierre de saint Leu grande comme nature, vaut 75 liv.
Une pareille figure faite par un habile homme et bien finie vaut au moins 300 l.
Une figure de dix pieds de haut 200 l.
Une pareille figure faite et bien finie par un habile homme 550 livres.
Les Trophées en pierre de saint Leu de six pieds[11] de haut sur huit à neuf pieds de large et isolées valent 150 liv.
[11] Ces trophées étoient un des ornements les plus à la mode sur les façades ou sur le bord des toits des palais et des hôtels : « On fait, disoit alors Richelet dans son Dictionnaire, des trophées en architecture qui représentent les véritables trophées d’armes. »
Les Vases de même pierre et de cinq pieds de haut 30 liv.
Les chapiteaux, pilastres ioniques de même pierre pour façon seulement travaillez en place bien proprement et de cinq pieds de large 24 liv.
Les chapiteaux, colomnes de même pierre et même ordre, dont le vif[12] engagé d’un tiers dans le mur, valent 50 livres.
[12] Le vif de la colonne, c’est-à-dire « le fût ».
Les chapiteaux colomnes isolez de même ordre et pierre 75 l.
Les chapiteaux pilastres, corinthes[13] et composites de cinq pieds de face façonnez en même pierre et en place 60 l.
[13] C’est le mot dont se servoient les ouvriers pour dire « corinthien », qui pourtant étoit déjà depuis longtemps en usage. Il se trouve dans Montaigne, et on lit dans la Psyché de La Fontaine :
Les mêmes ornemens bien finis par d’excellens ouvriers 120 l.
Les chapiteaux colomnes, même ordre, pierre et grandeur, dont le vif engagé d’un tiers dans le mur 100 liv.
Et par de bons ouvriers, bien finis 200 liv.
Les chapiteaux colomnes isolez même ordre, pierre et grandeur 150 liv.
Et aux conditions précédentes 260 liv.
Les Consolles[14] simples de 5 pieds de haut aux mêmes conditions, mais bien travaillées 8 livres.
[14] « La console », mot employé dans le Théâtre d’Agriculture d’Olivier de Serre avec le sens de soutien, qui « consolide », se prenoit alors presque exclusivement pour désigner, comme le fait Richelet, « un membre d’architecture, placé aux deux côtés de la porte ionique pour soutenir la corniche mise au dessus ». Elles servoient aussi, selon Félibien, à porter des figures, des bustes, des vases, etc.
Celles plus chargées d’ornemens, 11 livres plus ou moins à proportion de l’ouvrage.
Les Masques façonnez sur les clefs des portes d’entrées[15] en même Pierre de saint Leu 30 liv.
[15] « Les masques, aux clefs des arcades », comme il est dit dans les livres d’architecture du temps, étoient un des ornements les plus en faveur pour les façades des hôtels. Ceux qui se voient sur la fameuse maison de Lulli, au coin de la rue des Petits-Champs et de la rue Sainte-Anne, en sont un des premiers et des plus curieux spécimens. « Quelques-uns, dit Félibien, p. 650, nomment mascarons de gros masques faits de sculpture. »
Mais étant faits par un bon ouvrier et bien finis valent depuis 45 jusqu’à 60 livres et plus.
Il est difficile de mettre les prix justes aux ouvrages de Sculpture et Peinture, particulierement aux Tableaux et Statües ; c’est suivant les Maitres qui y sont employez que le prix doit estre reglé, parce que c’est la beauté qui en regle la valeur ; ainsi les curieux qui voudront avoir du beau de l’un des deux Arts, doivent s’informer des bons Maitres, qui ne laissent rien sortir de leurs mains que de bien fini.
Les bas reliefs de plâtre, placez en cheminées bien finis et de moyenne grandeur valent 8 liv.
Le pied courant d’ornemens en plâtre 2 liv.
Un buste en plâtre grand comme nature 6 liv.
Une figure de ronde bosse, même figure et grandeur pour poser sur un pied d’estail[16] depuis 36 jusqu’à 40 livres.
[16] C’est une des premières formes du mot. Richelet la donne comme étant employée en même temps que celle de « piédestal », et ne dit pas quelle est celle qu’il faut préférer. On avait dit auparavant « pied d’estrait ». V. Biblioth. de l’École des chartes, 4e série, t. III, p. 63.
On trouve un grand assortiment de beaux Moulles chez M. Cassegrain à l’adresse ci devant donnée. La beauté des Moules fait l’excellence des figures sans en augmenter le prix.
L’Or sculpé[17] couvert, vaut le pied carré deux livres cinq sols, l’Or bruni[18] deux livres dix sols, l’Or bruni sculpé trois livres quinze sols, l’Or bretelé[19] trois livres, l’Or repassé uni deux livres, l’Or repassé sculpé deux livres dix sols, l’Or uni à découvert deux livres cinq sols, l’Or sculpé à découvert deux livres quinze sols, la Mosaïque trois livres.
[17] Pour « sculpté », c’est-à-dire appliqué sur des sculptures.
[18] C’est-à-dire « éclairci, poli » avec le brunissoir.
[19] En croisillons ou en filets.
L’impression[20] en huile de jaune de couleur de bois de luth[21] à deux couches, quatre livres quinze sols la travée ayant six toises de superficie qui montent à deux cens seize pieds.
[20] Ce mot, dans le langage des vernisseurs et doreurs, se prenoit pour couche : « Les Chinois, lisons-nous dans le Diction. des arts et métiers de l’abbé Jaubert, t. IV, p. 361, n’emploient jamais leur vernis sur le bois qu’auparavant ils n’aient mis une couche ou impression, comme font les peintres, avant de peindre. »
[21] C’est-à-dire veiné comme le bois d’un luth, et de la même nuance.
L’impression deux couches de blanc de ceruse avec huile de noix, sept livres la travée.
L’impression à deux couches de jaune et de blanc en détrempe, deux livres cinq sols la travée.
La toise carrée de bois veiné en huile, deux livres dix sols, et en détrempe une livre dix sols.
Les ornemens de cheminées marbrez et jaspez[22] en huile par un bon œuvrier, reduits à la travée, trente six livres, et en ouvrage commun, vingt quatre livres.
[22] Ces imitations du jaspe par la peinture étoient déjà connues du temps d’Henri IV. D’Aubigné, dans son Histoire universelle, t. II, ch. 104, parle de piédestaux « qui estoient peints comme de jaspe. »
Le même ouvrage en détrempe par un bon œuvrier, trente livres, et en commun ouvrage, vingt livres.
Le vermillon et la laque valent trois livres le pied.
Le brun rouge vingt sols la toise.
Le nettoyement et le rechampissage[23], deux livres dix sols la toise.
[23] Il consiste à couvrir, avec une infusion de blanc de céruse, les couleurs qui se sont répandues sur le fond d’un ouvrage, pour le rendre aussi net qu’il doit l’être.
Le Verny, même prix.
L’Impression pour les berceaux peints en vert de montagne avec une couche de blanc de ceruse, et deux couches de vert sur échallas espacez de six pouces, trente cinq sols la toise[24].
[24] Il n’y avoit pas de plus piètre besogne pour les peintres de l’Académie de Saint-Luc. Liger en parle ainsi : « D’autres ne sont propres que pour les treillages, blanchir les murs, et donner quelque couleur en plein à des portes ou autres pièces de menuiserie. »
Les Couleurs et les Pinceaux pour la Mignature, se vendent rue d’Arnetal.
Les Couleurs et Pinceaux ordinaires, se vendent aux environs de l’Aport de Paris chez plusieurs Epiciers et Broyeurs[25].
[25] « Le verre blanc pour les mignatures et autres tableaux se vend chez un vitrier qui demeure rue aux Ours, devant l’image de la Vierge, et chez un autre qui demeure vieille rue du Temple, au coin de la rue de Bercy. » Édit. 1691, p. 30.