Le livre commode des adresses de Paris pour 1692, tome 2/2
REMARQUES
SUR LE SYSTÊME PRÉCÉDENT ET SUR
LES AUTRES SYSTÊMES DU MONDE.
Ce qu’on appelle systême dans l’Astronomie est une déduction précise des principalles dispositions de l’Univers.
Celuy dont je viens de donner l’idée est attribué à Ptolémée Égyptien. Il a servi à la construction de la Sphère artificielle qui sert depuis plusieurs siècles à démontrer cette science. Thico-Brahé, Danois, qui s’étoit proposé de le réformer, ne jugea pas à propos de détruire l’immobilité de la Terre et se contenta de supposer que le Soleil tournoit autour d’elle, tandis que les autres Planettes tournoient autour du Soleil, ce qui n’a eu qu’un petit nombre d’approbateurs[23].
[23] C’est là, en effet, à peu près tout le système de Tycho-Brahé, qui vouloit ainsi concilier ensemble la Bible, Ptolémée et Copernic. Il plaçoit le soleil au centre des mouvements des planètes qu’il faisoit tourner avec lui autour de la Terre. L’idée de ce système mixte avoit un instant été celle de Copernic. Lorsqu’il eut songé qu’il seroit contraire à la simplicité de la nature de faire tourner le centre commun des planètes autour d’un centre secondaire, il y renonça. V. à ce sujet Montucla, Hist. des Mathémat., t. I, p. 661.
Il n’en a pas été ainsi d’un troisième système proposé par Copernic, Allemand[24] : car, quoique celui-ci soit entièrement opposé à celuy de Ptolémée qui est celuy même des Écoles, il n’a pas laissé que d’être trouvé probable par quelques gens, qui se sont imaginez qu’il pouvoit mieux servir que les autres à l’explication de ces Phœnomènes, dont on doit la découverte aux grandes lunettes d’approche qui sont maintenant en usage.
[24] Dans l’édition précédente, p. 71, Blegny avoit dit avec plus de raison : « Copernic polonois ». Thorn, qui est situé sur la Vistule, à quarante lieues de Varsovie, et qui n’appartient à la Prusse que depuis 1815, étoit, en effet, sa ville natale. L’ouvrage où il exposa son système parut pour la première fois à Nuremberg en 1543. C’est un in-fol. qui porte ce titre : De revolutionibus orbium cœlestium. Copernic avoit alors soixante-dix ans ; il mourut quelques mois après.
Dans ce système, on suppose le Soleil au centre du Monde, on fait de la Terre une Planette et on la fait tourner avec toutes les autres autour du Soleil, du moins si on en excepte la Lune qu’on croit tourner seulement autour de la Terre, comme si elle étoit enclavée dans son Atmosphère, c’est-à-dire dans le tourbillon d’air dont elle est environnée, ce qui fait que ces deux corps ne sont imaginez que dans un même ciel, qu’on fait le troisième et qu’on fait précéder par conséquent de celuy de Mercure que l’on croit être le premier ; et de celuy de Vénus qu’on dit être le deuxième ; de même que le Ciel de Mars qui suit celuy de la Terre est réputé le quatrième, et successivement ceux de Jupiter et de Saturne qui font le cinquième et le sixième. Mais, outre que ce systême n’est pas approuvé par l’Église[25], je feray voir bientôt dans un traité à part que tout ce qu’on y propose est physiquement impossible.
[25] Le 5 mars 1616, la congrégation de l’Index avoit condamné donec corrigatur, ce qui valoit moins, disoit Képler, que donec explicetur, le livre de Copernic, comme « renfermant des idées données pour très vraies sur la situation et le mouvement de la Terre, idées entièrement contraires à la Sainte Écriture. » En 1633, Galilée, qui les soutenoit, fut condamné avec elles par un arrêt du Saint-Siège qui déconcerta la science et faillit arrêter ses progrès. Descartes en fut si frappé qu’il écrivit au P. Mersenne, le 22 juillet 1633, le 10 janvier et le 15 mars 1634, qu’il renonçoit à publier ses ouvrages de philosophie. En décembre 1640, le courage ne lui étoit pas revenu. Pascal, sans se décider, car on a trouvé dans ses fragments de pensées cette phrase : « Je trouve bon qu’on n’approfondisse pas l’opinion de Copernic », n’attaqua pas moins très vivement les jésuites d’avoir provoqué à Rome la condamnation du système : « Ce fut aussi en vain, dit-il dans sa 18e Provinciale, que vous obtîntes contre Galilée un décret de Rome qui condamnoit son opinion touchant le mouvement de la Terre. Ce ne sera pas cela qui prouvera qu’elle demeure en repos ; et si l’on avoit des observations constantes qui prouvassent que c’est elle qui tourne, tous les hommes ensemble ne l’empêcheroient pas de tourner, et ne s’empêcheroient pas de tourner aussi avec elle. » Malebranche, dans la Recherche de la vérité, liv. IV, ch. 12, douze ans après la mort de Pascal, fut plus net. Après avoir rappelé le chapitre de la Bible sur Josué arrêtant le soleil, le seul dont l’Église se fît une arme contre Copernic, il osa dire que la foi n’est point intéressée à ces choses « qui sont du ressort de la raison », et qu’il faut lui laisser son partage. La condamnation du système n’en fut pas moins maintenue, et cela presque jusqu’à nos jours. Lorsque, le 5 mai 1829, l’on inaugura à Varsovie la statue de Copernic par Thorwaldsen, le clergé s’y arma encore de l’arrêt de Rome pour refuser son concours.