Le livre commode des adresses de Paris pour 1692, tome 2/2
LE TRÉSOR
DES ALMANACHS[5]
POUR L’ANNÉE BISSEXTILE[6] 1692.
[5] Dans l’édition précédente, p. 63, Blegny, au lieu de la ligne qui suit ici, avoit mis : « pour servir à toutes espèces de négociations utiles. »
[6] On sait quelle est l’origine des années bissextiles. Jules César, lorsqu’il créa le calendrier nommé à cause de lui calendrier Julien, décida que l’année seroit de 365 jours 6 heures ; et comme ces six heures quatre fois répétées forment un jour, il ordonna que ce jour seroit intercalé tous les quatre ans après le sixième des calendes de mars, qui correspond au 24 février. Par cette intercalation ce sixième jour des calendes étant doublé, on l’appela bis sextus, bis sixième, ou bissexte, d’où année bissextile.
IDÉE
GÉNÉRALE DU MONDE[7].
[7] Blegny, dans l’édition de 1691, avoit écrit avec moins d’emphase : « Systêmes du Monde ».
Le temps n’étant que la durée des êtres modifiez, et les saisons qui se trouvent dans la suite des temps n’étant que des accidents qui arrivent à ces êtres, il est de l’ordre de donner une idée générale de l’Univers, avant que de parler de la succession des temps et des saisons : mais comme cet Ouvrage, qui n’est qu’un simple manuel journalier, doit fournir dans l’instant même d’un besolu[8] l’utilité qu’on en doit attendre, et qu’il seroit par conséquent défectueux s’il exigeoit la moindre application d’esprit, on ne trouvera ici ni dans toutes les autres parties que des expositions si claires et si précises, qu’il suffira de les lire pour en faire sur le champ de justes applications dans la pratique de la vie civile.
[8] Lisez « d’un besoin ».
Voici donc comment, sans aucun principe, chacun se pourra faire dans un moment l’idée générale de l’univers. Il faut pour cela se représenter, comme on le sçait communément, que la Terre, avec les Eaux qu’elle comprend, est un globe ou rond, plein et opaque, qu’on peut comparer à une boule quant à la forme plus générale ; puis ayant imaginé que cette boule pleine et opaque est au milieu d’une boule creuse et transparente dont la circonscription est beaucoup plus étendue, se représenter d’ailleurs qu’elle est soutenue au milieu de ce creux par une substance fluide et claire qui reçoit le nom d’Air.
Alors, après avoir donné à ce premier globe creux et transparent le nom de Ciel de la Lune[9], on s’en figurera un deuxième de même nature qu’on nommera Ciel de Mercure, et qu’on supposera assez grand pour renfermer celuy-là ; puis enfin, en les multipliant, on pourra en imaginer un troisième pour Vénus, un quatrième pour le Soleil, un cinquième pour Mars, un sixième pour Jupiter, un septième pour Saturne, qui est la dernière et la plus éloignée des sept planètes, un huitième où l’on placera le firmament ou ciel des étoiles fixes, un neuvième qui sera le premier ciel cristalin[10], un dixième qui sera le deuxième cristalin, et un onzième qu’on supposera être le premier mobile des autres, après quoy ayant imaginé un carré, on s’y représentera, suivant l’Apocalypse, la Sainte Cité[11] ou le Ciel Empirée[12] qui est la demeure des Bienheureux.
[9] Tout cela, ainsi que ce qui suit, est du système de Ptolémée, celui que Blegny, comme on le verra plus loin, avoit adopté pour ne pas se mettre mal avec l’Église.
[10] Ceci est encore du système de Ptolémée, suivant lequel chacun des cieux transparents qui enveloppent la terre au delà des cercles des planètes, s’appelle « cristallin ».
[11] V. l’Apocalypse, chap. III, verset 12 ; chap. XXI, versets 2 et 10.
[12] C’est, dans le système de Ptolémée, le ciel des fixes, supérieur au ciel des planètes.
Considérations sur l’œconomie universelle et sur les parties principales du monde.
Dans l’Astronomie la représentation de l’assemblage entier de tous les globes simples dont il vient d’être parlé, forme un Globe composé qui a reçu le nom de Sphère, et au milieu duquel on met un axe ou essieu sur lequel on suppose que tous les Cieux ensemble tournent en vingt-quatre heures d’Orient en Occident, quoique la Terre demeure fixe à leur égard[13].
[13] Il est inutile de dire que le système de Ptolémée a ce principe erroné pour base. « Il s’est, dit Ferd. Hœfer, Hist. de l’astronomie, p. 209, tellement identifié avec le langage et les idées traditionnels, que l’on dit encore aujourd’hui que le Soleil marche, qu’il se lève, qu’il se couche, etc., absolument comme si la Terre étoit immobile au centre du monde. »
Cet axe est supposé avoir ses deux points ou terminaisons au premier mobile[14] et traverser diamétralement toute la sphère, on imagine l’un de ces points à la partie Septentrionale, et l’autre à la partie Méridionale de ce Ciel, et l’on appelle le premier Pôle Artique, et le deuxième Pôle Antartique.
[14] On appeloit, dans l’astronomie ancienne, « premier mobile », la première et la plus haute des sphères célestes, qui se meut et donne le mouvement aux sphères inférieures. Le temps « du premier mobile » est le temps qui est mesuré par le retour des étoiles au méridien.
Ces noms qui, comme il vient d’être dit, n’appartiennent proprement qu’aux deux terminaisons de l’axe, ne laissent pas que de servir dans la Géographie de la Terre pour exprimer les deux points où l’on fait commencer les Lignes qui vont à ces mêmes terminaisons.
Ce qui a donné les noms aux sept premiers cieux[15], est ce qu’on nomme Planettes. Ce sont des Astres qu’on distingue des Etoiles fixes du firmament, en ce que celles-ci dans leur mouvement gardent toujours un ordre et une distance égale, et que celles-là, au contraire, changent de situation les unes à l’égard des autres, pendant même qu’elles sont toutes emportées par un mouvement général d’Orient en Occident sur l’Axe qui vient d’être supposé.
[15] V. ce qui a été dit un peu plus haut.
Cette variété de situations vient de ce que ce mouvement général n’empêche pas qu’elles n’ayent chacune un mouvement particulier et naturel d’Occident en Orient dans lequel elles sont inclinées, tantôt vers les signes Méridionaux, tantôt vers les signes Septentrionaux, les unes plus, les autres moins ; et que d’ailleurs elles peuvent avoir jusqu’à sept ou huit degrez de latitudes dans chaque signe, ce qui fait qu’on les imagine comme enclavées dans un même Cercle qu’on nomme Zodiaque[16] et qu’on fait le plus large de la Sphère.
[16] Les signes du zodiaque servent encore pour l’astronomie moderne, mais sans correspondre aux constellations de l’ancienne. La découverte de la première des planètes télescopiques au commencement du siècle prouva que ce Cercle devoit être considérablement élargi : « La découverte de Cerès par Piazzi, en 1801, lisons-nous dans l’Histoire de l’astronomie de Voiron, p. 72, a changé tout à coup les idées reçues sur la largeur du zodiaque. L’étendue de cette zône du ciel dans laquelle sont observés les mouvements des planètes avoit toujours été comprise dans une largeur d’environ seize degrés ; c’étoit celle du zodiaque consacré par l’astronomie ancienne. Cérès en a franchi les bornes et porté sa largeur jusqu’à trente-sept degrés. »
Il faut de cette proposition générale excepter le Soleil, en ce que dans son mouvement particulier et annuel, aussi bien que dans le mouvement général du premier mobile, il parcourt constamment le milieu du Zodiaque ; en sorte qu’il décrit comme une ligne étroite dans ce milieu qu’on nomme Ecliptique, par cette raison que quand la Lune se trouve à notre égard vis-à-vis de cette ligne, il se fait une éclipse.
Le Zodiaque, et par conséquent l’Ecliptique qui n’est que son milieu, aussi bien que tous les autres Cercles qu’on imagine dans la Sphère du Monde, est divisé par les Astronomes en 360 parties qu’on nomme degrez, chaque degrez en 60 minuttes, chaque minutte en 60 secondes, chaque seconde en 60 tierces, etc.
J’ai déjà dit que les Planettes faisoient ensemble le tour de la Terre en 24 heures ; je dois dire maintenant que par leurs mouvemens particuliers et naturels,
Saturne fait la révolution en 29 ans 155 jours, 8 heures.
Jupiter en 7 ans, 323 jours 17 heures.
Mars en un an 321 jours 22 heures.
Le Soleil en 365 jours, 5 heures, 49 minuttes 16 secondes.
Mercure en 215 jours, 21 heures 5 minuttes.
Vénus en 583 jours, 22 heures 12 minuttes.
La Lune en 27 jours, 7 heures et 43 minuttes[17].
[17] On comprend que tous ces calculs, basés sur le système de Ptolémée, sont devenus plus ou moins faux lorsqu’on a pris pour base celui de Copernic. Voici, avec celui-ci, à quels nouveaux chiffres on est arrivé : la révolution de Saturne autour du Soleil se fait en 10,758 jours, c’est-à-dire un peu plus de 29 ans ; Jupiter fait la sienne en 11 ans, 217 jours ; Mercure en 87 jours, 23 heures, 14 minutes, 30 secondes ; Vénus en 224 jours.
Quand on est dans un lieu bien découvert, et qu’on regarde toute la Terre apparente, il semble qu’aux extrémitez de la circonférence elle est jointe avec les Cieux, ce qui forme ce Cercle[18] qu’on appelle Orizon, où le Soleil paroît le matin à l’Orient et disparoît le soir à l’Occident, ce qu’on appelle lever et coucher du Soleil, et ce qui fait aussi que la partie orientale de la Terre est nommée Levant et la partie occidentale Couchant.
[18] La division de la sphère en cercles : le méridien, l’équateur, l’écliptique, les deux tropiques et l’horizon, est due à Ptolémée, après lequel les Arabes l’adoptèrent.
Le Cercle qu’on imagine disposé dans un sens précisément contraire à celuy de l’Orizon, c’est-à-dire qui le coupe diamétralement, en séparant l’Axe et la Terre en deux parties égales, est ce qu’on nomme Equateur et ligne Equinoctiale.
La Terre, considérée par sa division Orisontale, représente deux hémisphères ; la supérieure, que nous occupons et dont le continent de Terre habitable renferme les trois parties qu’on nomme Europe, Asie, et Afrique ; et l’inférieure qui fait les Antipodes, et dont le continent fait la quatrième partie de la Terre qu’on nomme Amérique ou Nouveau-Monde.
La division de la Terre qui se fait par l’Équateur distingue en chaque hémisphère la partie Septentrionale de sa partie Méridionale ; et pour la diviser de l’autre sens, c’est-à-dire en partie Orientale et en partie Occidentale, on imagine encore un autre cercle qu’on appelle Méridien, et qui passe sur les deux pôles ou terminaisons de l’axe du Monde, mais qui n’a pas de situation déterminée, parce qu’il doit être respectif à chaque climat pour désigner l’endroit où le Soleil est à midi.
Le premier mobile tournant sur l’axe, l’Equateur pourroit être considéré comme le chemin des Astres, n’étoit que le Zodiaque, dans la largeur duquel elles sont comprises[19], le coupe obliquement pour incliner de 23 degrez environ 30 minuttes sur notre hémisphère du côté du Septentrion, et sur l’autre du côté du Midi, ce qui fait la diversité des saisons, qui sont dépendantes de l’approche et de l’éloignement du Soleil à l’égard de chaque climat ou partie de la Terre.
[19] Nous ne savons pourquoi Blegny fait d’astre un mot féminin ; il fut toujours masculin.
Le mouvement journalier du Soleil fait qu’il n’est pas toujours au même endroit du Zodiaque, et que changeant de situation à l’égard des parties de ce Cercle, il se trouve dans les douze mois de l’année sous les douze signes qui font la division de ces mêmes parties chacune de 30 degrez.
Ces signes sont généralement divisés en Méridionaux et Septentrionaux ; les premiers, au nombre de six, sont ainsi nommez et figurez : la Balance ♎︎, le Scorpion ♏︎, le Sagittaire ♐︎, le Capricorne ♑︎, le Verseau ♒︎, les Poissons ♓︎. Le Soleil passe dans les trois premiers en automne, et dans les trois derniers en hiver.
Les derniers, pareillement au nombre de six, sont aussi désignez par les noms et par les figures suivantes : à sçavoir le Bélier ♈︎, le Taureau ♉︎, les Gémeaux ♊︎, l’Écrevisse ♋︎, le Lion ♌︎, la Vierge ♍︎. Le Soleil passe dans les trois premiers au printemps et dans les trois autres en été.
Ainsi, lorsque le Soleil paraît au Capricorne, qui est vers le 22 décembre, nous entrons en hiver, dont le premier jour, étant le plus court de l’année, fait ce qu’on nomme Solstice d’hiver, c’est-à-dire le temps auquel le Soleil est plus éloigné de nous.
L’accroissement des jours se faisant par degrez depuis le Solstice d’hiver jusqu’environ le 20 mars, il arrive enfin que leur durée devient égale à celle des nuits, égalité qu’on nomme Équinoxe et qui fait le commencement du printemps, où l’on voit le Soleil au Bélier.
Depuis ce premier Equinoxe, les jours s’augmentant par degrez, nous arrivons enfin le 21 juin au plus long jour de l’année, c’est-à-dire au Solstice d’été, où le Soleil entre dans le signe de l’Écrevisse.
Puis les jours étant derechef dégénérez jusqu’à une juste égalité de durée avec celle des nuits, nous arrivons enfin à l’Équinoxe d’Automne vers le 22 septembre, où le Soleil entre au signe de la Balance, et d’où les jours dégénèrent encore jusqu’à l’entrée de l’hiver.
Pour représenter précisément dans la Sphère les diverses situations des signes où commencent les Équinoxes, et de ceux où commencent les Solstices, on y voit deux grands Cercles qu’on nomme les Colures, qui passent comme le Méridien sur les deux pôles, et qui, étant placez en distances égales, séparent le Globe en coupant le Zodiaque, où ils marquent de la sorte les endroits où le Soleil détermine le changement des saisons[20].
[20] Cette définition des colures est assez juste. Ce sont, en effet, deux grands cercles qui s’entrecoupent à angles droits aux pôles, et qui passent : l’un, le colure du solstice, par les points solsticiaux, et l’autre, le colure des équinoxes, par les points équinoxiaux de l’écliptique, déterminant ainsi les quatre grandes divisions, qui marquent les quatre saisons de l’année. Leur nom vient de Κολος mutilé, et οὐρὰ queue, parce que, selon Proclus, quelques-unes de leurs parties ne sont pas visibles à la vue.
Si on se représente un Cercle vers chaque pôle et tous deux parallelles à l’Équateur, c’est-à-dire en égales distances, on aura compris ce que les Astronomes nomment à la partie Septentrionale du Monde, Tropique de Cancer, et à la partie Méridionale, Tropique de Capricorne, qui sont les termes de la déclinaison ou oblicuité de l’Écliptique ; le surplus des parties de l’Univers et de la Sphère qui le représente sont à mon avis d’une trop médiocre considération pour l’idée générale que je me suis proposé de donner. Je dois dire seulement que quand on se figure un point qui répond perpendiculairement à notre tête, on le nomme Zénith[21] ou point Vertical, et qu’on appelle Nadir[22], celuy qui luy est directement opposé, et qui répond à nos pieds, ce qui sert à l’explication de quelques phœnomènes.
[21] Ce mot, qu’on écrivoit au moyen âge Cenith, vient de l’arabe Semt ou Simet, qui signifie chemin droit, point vertical.
[22] Mot qui vient de l’arabe nathir, vis-à-vis. Il désigne le point du ciel auquel aboutiroit une ligne verticale tirée du point où nous sommes, et passant à travers le centre de la Terre.