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Le livre du chevalier de La Tour Landry pour l'enseignement de ses filles

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De Sarra, femme du petit Thobie.

Chappitre IIIIXXXVIe.

Je vous diray un autre exemple de une bonne dame, qui avoit nom Sara. Vous avez bien ouy comment elle eust vij. seigneurs, que l’enemi occist pour ce qu’ilz ne vouloient pas user de loyal mariaige, et comme sa clavière lui reprocha que mary ne lui povoit arrester. Et la bonne dame, qui vit que celle fole vouloit tencier à elle, si lui dist comme saige moult humblement : « Belle amie, à toy ne à moy ne appartient mie à parler des jugements de Dieu », et plus ne lui dist. Elle ne sembla pas à la fille d’un des senateurs de Romme, qui avoit le cuer si felon que elle tançoit en plainne rue avecques sa voisine, et tant crurent et montèrent les paroles que l’autre lui dist que elle n’estoit pas nette du corps, dont par celle parole, qui ala tant avant, elle en perdy son mariaige, feust vérité ou mençonge. Et pour ce est grant folie à toute femme de tencier ne respondre à tenceurs ne à gens qui sont felons et cruelz et qui ont male teste, dont je vous diray un fait que je vy d’une bien gentilz femme qui tençoit à un homme qui avoit male teste. Sy lui dis : « Ma damoyselle, je vous loue et conseille que vous ne respondiez point à ce fol ; car il est assez fol de dire plus de mal que de bien ». Mais elle ne me voult croire, si tença plus fort en lui disant qu’il ne valoit riens. Et il respondit que il valoit autant pour homme comme elle faisoit pour femme. Et tant montèrent leurs parolles que il dist que pour certain il sçavoit bien un homme qui la baisoit de jour et de nuit quant il vouloit. Et adonc je l’appellay à costé et lui dis que c’estoit folie de prendre à fol paroles ne tençons. Si furent les paroles laides et devant moult de gens, et fust diffamée par son attayne et par son fol tencier, et fist sçavoir à plusieurs gens ce que ilz ne sçavoient pas. Elle ne sembla pas la sage Sarra, qui ne fist pas grans responces à sa folle clavière ; car aucunes foiz l’en se met bien de son bon droit en son tort, et si est moult meschante chose et honteuse à gentilz femmes et autres de tencier nullement. Dont je vous diray l’exemple de la proprieté de certaines bestes. Regardez-moy ces chiens et ces mastins ; de leur nature ilz rechignent et abbayent, mais un gentil levryer ne le fera pas. Ainsi doit-il estre des gentilz hommes et des gentilz femmes. Et aussi je vous diray l’exemple de l’empereur de Constentinoble. Il estoit homme moult fier et felon, mais jamais ne tençast à nul, dont il advint que il trouva ses ij. filz tançant ; mais il les eust batus, qui ne se feust mis entre deux. Et puis dist que nul gentil cuer ne devoit tencier ne dire villenie. Car au tencier l’en congnoist les gentilz de avecques les villains, car cellui est villain qui de sa bouche dist villenie, et pour ce est grant gentillesce et grant noblesce de cuer à ceulx qui pueent avoir pascience et humilité en eulx, et ne respondre point à toutes les foles paroles des folz ne des foles. Car pour certain il advient souvent que une fole parole engendre telle fole responce qui puis porte honte et deshonneur ; et pour ce, belles filles, est bon de y prendre bon exemple. Car le fol et la fole de felon et haultain couraige, quant l’en leur tient pié, ilz dient de leurs malices et de leurs yres aucunesfoiz villenies et choses qui oncques ne furent pensées, pour vengier leur grant yre. Et ainsi se doit garder toute bonne femme de riens respondre à son seigneur devant les gens pour plusieurs causes ; car à soy taire elle ne peut avoir que toute honneur et tout bien de touz ceulx qui le verront, et à lui respondre son desplaisir ne li peust venir fors honte et desplaisir et deshonneur.

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