Le livre du chevalier de La Tour Landry pour l'enseignement de ses filles
Comment toutes femmes doivent venir à leurs amis en l’estat où elles sont.
Chappitre CVe.
Dont je vous diray un exemple. Il fust un chevalier moult bon homme et preudomme qui aloit aux voyages oultre mer et ailleurs. Sy avoit ij. niepces qu’il avoit nouries et mariés, lesquelles il amoit moult à merveilles. Sy leur achepta en son venant de son voyaige à chascune une bonne robe courte et de bonnes pennes à les cointier. Sy arriva bien tost chiez l’une de elles et hucha et demanda sa niepce, et lui fist dire qu’il la venoit veoir. Celle se bouta en sa chambre et se fist enfermer pour nettoier sa robe et pour soy cointoyer, et luy manda qu’elle vendroit tantost à lui. Le chevalier attendist une pièce, et tant que il li ennoya et dist : « Ma niepce ne vendra pas. » Et ilz lui respondirent que elle vendroit tantost et qu’il ne lui ennuiast, et ainsi lui manda ; dont le chevalier eust desdain de quoy elle tardoit tant, pour ce que il y avoit si longtemps que elle ne l’avoit veu. Sy monta sur son cheval et s’en ala sans la veoir, et vint veoir son autre niepce, et, dès ce que il hucha et que celle sceust que ce estoit son oncle, qui loing temps avoit esté hors, celle par son esbat se estoit prise à faire pain de fourment et avoit les mains toutes pasteuses ; mais en l’estat où elle estoit saillist au dehors, les bras tenduz, et lui dist : « Mon très chier seigneur et oncle, en l’estat où je ouy nouvelles de vous je vous sui venue vous veoir. Si me le pardonnez ; car la grant joye que j’ay de vostre venue le m’a fait faire. » Le chevalier resgarda la manière et en eut grant joye, et l’ama et prisa moult plus que l’autre, et lui donna les ij. robes que il avoit achetées pour elle et pour sa suer. Et ainsi ceste qui vint lieement en l’estat où elle estoit au devant de son oncle, elle gaingna les ij. paires de robes, et l’autre qui tarda pour soy cointier les perdy. Et pour ce celle qui vint au devant de son oncle en l’estat où elle estoit, quant elle l’eust mené en sa chambre, elle s’ala cointoier, et puis lui dist : « Mon seigneur mon oncle, je me suis alée cointoier pour vous servir plus honnestement. » Et ainsi elle gaingna la grace et l’amour de son seigneur oncle et l’autre la perdist. Si a cy bon exemple comment l’en doit venir lieement en l’estat où l’en est en la venue de ses amis et de ses parens pour leur monstrer plus grant amour. Et aussi je vouldroye que vous sceussiez comment une baronnesse moult bonne dame ne se vouloit vestir par chascun jour ne d’atour, ne de bonnes robes. Ses gens lui disoient : « Madame, comment ne vous tenez-vous plus cointe et mieulx parée ? » Et elle leur respondit : « Se je me tenoie chascun jour cointe et parée, de combien pourroye-je amender ès festes, et aussi quant les grans seigneurs me vendroient veoir ? car quant je me vouldroye bien cointier, je vous semble plus belle qu’à chascun jour. » Sy ne prise riens celle qui ne se scet amender quant il en est lieu et temps ; car chose commune n’est point prisée.