Le livre du chevalier de La Tour Landry pour l'enseignement de ses filles
Cy parle d’une bonne dame de Jerico appelée Raab.
Chappitre IIIIXXVIIIe.
Un autre exemple vous diray sur cest fait. Il advint que en la ville de Jerico avoit une femme qui avoit nom Raab, laquelle estoit blasmée, mais charitable estoit. Dont il avint que certains preudes hommes qui y estoient venus pour enseigner le pueple sy trouvèrent les gens de la ville moult maulx et crueulx, tant qu’ils s’en alèrent respondre et cachier chiez celle femme, et les mussa dessoubz trousseaulx de lin et de chanvre, et ne les peurent trouver pour cerchement que ils feissent, et puis la nuit les avala par une corde et les sauva. Dont il avint qu’elle en fust bien guerredonnée, car la ville fut depuis prise, et hommes et femmes tous mors, fors Raab et sa mesgnie, que Dieu fist sauver pour ce qu’elle avoit sauvé ses sergens. Et pour ce dit bien la sainte Euvangille, là où Dieu dit que le bien et le service que l’on lui fera, ou à ses serfs pour lui, que il le rendra à cent doubles. Dont est-ce bon exemple de faire bien qui depuis est rendu et meri à cent doubles. Dont je vueil que vous saichiez l’exemple de sainte Annastaise, qui fust mise en chartre ; mais Dieu la fist delivrer et lui fist assavoir qu’elle estoit delivrée pour ce qu’elle soustenoit du sien propre les povres prisonniers et les enchartrez, et là où elle sçavoit que aucun y estoit mis sans cause et à tort, par envie ou par aucune debte, elle y mist tant du sien et de sa peine qu’il feust delivré. Et pour ce Dieu l’en guerredonna au double. Et mesmement le doux Jhesucrist dit en l’Euvangille que au grant jour du jugement il aura mercy de ceulx qui auront visité les enchartréz et les malades et les povres femmes en gesines. Car à celluy jour espovantable il en demandera compte et en convendra rendre raison, dont je pense bien que maintes en seront reprinses de en faire bonnes responces. Et pour ce, belles filles, pensez-en à present, si comme fist sainte Arragonde, qui fust royne de France, qui les povres enchartrez visitoit, repaissoit et nourrissoit les orphelins, et visitoit les malades. Et au fort, quant elle vit qu’elle n’y pourroit entendre à sa voulenté, pour doubte de desobéir à son seigneur, elle laissa son seigneur et tout l’onneur et la gloire du royaulme et la joye mondaine, et s’en fouy en tapinaige de Paris jusques à Poitiers, et là se rendist en l’abbaye et se fist nonnain, et laissa le siecle pour mieulx servir à nostre Seigneur sans crainte de nulluy, dont depuis Dieu fist tel miracle pour l’amour d’elle que ung arbre qui donnoit umbre au millieu de leur cloistre, lequel estoit devenu sec tant estoit vieulx, mais nostre Seigneur à sa prière le reverdist tellement que il geta escorce et fueille nouvelle, contre le cours de nature. Mais riens n’est impossible quant à Dieu, et maintes autres grans miracles fist nostre seigneur pour elle. Et pour ce est bon exemple de faire charité, comme ouy avez de ces ij. bonnes dames et de celle bonne dame Raab, comment elles firent et comment Dieu en la parfin les guerredonna de leurs bons services.