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Le livre du chevalier de La Tour Landry pour l'enseignement de ses filles

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Cy parle d’une dame qui estoit riche et avaricieuse.

Chappitre VIXXVIe.

Un autre exemple vous diray d’une grant dame qui fust femme à un grant baron ; celle fust moult long temps vefve, et n’avoit que une fille, mariée à un grant seigneur. Sy advint qu’elle fust malade au lit de la mort ; sy fist faire son lit devant l’uis d’une tour où estoit sa chevance et son or, et fist mettre la clef de cette tour scellée en un drapel soubz ses reins, et, quant vint que la mort s’aprocha, elle avoit tousjours les yeulx devers la porte de celle tour, et quant aucuns y aprouchoient, elle levoit la main et monstroit signe que l’en n’y aproschat, et s’escrioit et tourmentoit toute que nul n’y habitast vers l’uis, et là avoit le plus de son entente, tant comme elle peust faire nul signe, et au fort elle trepassa. Si arriva la fille, qui grant dame estoit, et demanda aux gens se sa mère avoit point de chevance pour lui faire son arroy ; ils respondirent qu’ilz ne savoient, fors qu’ilz se pensoient bien que, se point en avoit, qu’elle feust en celle tour devant son lit. Et comptèrent comment elle ne vouloit souffrir que l’en n’y atouchast, et lui distrent comment la clef en estoit scellée soubz ses rains. Lors la fille ouvrit la tour et trouva de xxx. à xl. mille, tant en or que en argent, que en vaisselle ; mais lors fut trouvé en linceulx de fil et de laine et en poupées de lin et en merveilleuses chose, que tous en estoient esbahis d’en veoir la manière. Adonc sa fille se seigna et dist que en bonne foy elle ne cuidoit mie qu’elle eust le xxxe de ce qu’elle avoit trouvé, et en estoit moult esbahie, et encores disoient qu’elle et son seigneur l’estoient venue veoir, n’avoit gaires, et lui avoient requis de leur prester deux cens livres, jusques à certain temps, et qu’elle leur avoit juré fort sairement qu’elle n’avoit point d’argent, fors sa vaisselle d’argent de chascun jour, et pour ce estoit elle moult esmerveillée de trouver ce qu’elle trouvoit. Si lui distrent ses gens qui avoient esté avecques elle : « Ma dame, ne vous esmerveilliez mie, car nous en sommes plus esmerveilliez encore que vous ; car, se elle voulsist envoyer un messaige hors, ou aucune chose faire, elle empruntoit iij. solz ou iiij, et deist par sa foy qu’elle n’avoit point d’argent, et si estoit moult riche et ne vouloit riens despendre. Et, quant ses gens mangeoient, elle leur reprouchoit : Comment, serez-vous tout huy à table ? vous ne faictes que gaster et despendre tout le nostre. » Et si vous dy bien que l’en la tenoit moult escharse et chiche ; et toutes foiz elle laissa tout. Si n’a pas long temps que je fus là où elle est enterrée ; si demandoit aux frères de l’abbaye où elle gisoit et à quoy il tenoit qu’elle n’avoit une tombe ou aucune congnoissance d’elle en leur eglise. Et ilz me respondirent que oncques, puis que l’enterraige fut fait, amy qu’elle eust n’en fist dire ne messe ne matines, ne faire nul bien pour elle neant plus que pour une povre femme de villaige, forz que tant seulement à son enterraige, où elle ot beau service ; mais ce fut tout, car je le vy et y fus. Si a cy bon exemple comment l’ennemi est subtil pour decevoir, et comment en l’un des vij. pechiez mortelz, où il puet mieulx tempter homme et femme, en cellui il met son entente et lie les pecheurs tellement que à painne s’en puevent-ils deslier, et se ce n’est par vraye confession, et les fait estre serfz au pechié, comme il fist celle grande dame ; car il fist tant qu’elle fut serve et servante à son or et à son argent, tellement qu’elle ne s’en osa bien faire ne autruy, ne pour l’amour du monde, ne pour l’onneur. Et pour ce, belles filles, a cy bon exemple que, se il advenoit que Dieu vous donnast aucune chose et chevance terrienne, departez lui en largement et en faictes bien, pour honneur de vous, à vos povres parens et voisins. Et n’attendez pas à le departir comme fist celle dame, pour qui oncques puis ne fut chanté ne ballé, ne fait nul bien pour elle, comme ouy avez dessus.

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