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Le livre du chevalier de La Tour Landry pour l'enseignement de ses filles

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Que toute femme doit soustenir son seigneur.

Chappitre IIIIXXXIIe.

Je vous diray un exemple d’une bonne dame qui bien doit estre louée. Celle bonne dame avoit nom Abigail ; elle avoit un seigneur qui estoit à merveille maulx homs et divers et rioteux à tous ses voisins, et mesdisans. Sy avoit trop forfait au roy David, dont le roy le fist desfier, et le vouloit destruire et mettre à mort. Mais la bonne dame, qui sage estoit, vint devers le roy et se humilia tant par ses doulces paroles qu’elle fist la paix de son seigneur. Sy le garda celle foiz et plusieurs autres de maints perilz où il se mettoit par sa mauvaise langue et par ses foles sotises. Mais tousjours la bonne dame amendoit ses sotties et ses folies, dont elle doit bien estre louée, et aussi de ce qu’elle souffroit moult humblement de lui la paine et la doulleur qu’il lui faisoit traire. Et pour ce a cy bon exemple comment toute bonne femme doit souffrir de son seigneur et le doit supporter, et par tout le sauver et garder comme son seigneur, combien qu’il soit fol ou divers, puisque Dieux le lui a donné. Car tant comme elle y aura plus à souffrir et elle le portera plus humblement et couverra la folie de lui, de tant aura-elle plus l’amour de Dieu et l’onneur du monde.

Je vouldroye que vous sceussiez l’exemple d’une bonne dame, femme d’un senateur de Romme, si comme il est contenu ès croniques des Romains. Cellui senateur estoit moult jaloux sans cause, et estoit moult divers homs et moult maulx et crueulx à sa femme. Sy advint que il eust à faire ung gaige de bataille encontre un autre. Or estoit-il trop couart et failli ; le jour de la bataille son champion qui devoit jouster pour lui estoit malade, et ne trouva lors aucun qui pour lui se voulust combattre, dont il eust esté dehonté ; mais sa femme, qui regarda le grant deshonneur que son seigneur y auroit, ala en sa chambre et se fist armer ; sy monta à cheval et se mist en champ, et avoit son visaige deffait que nul ne la cogneust, et toutes foiz, pour ce que Dieu vit sa bonté et que elle faisoit selon Dieu son devoir, et rendoit à son seigneur bien pour mal, Dieu lui donna telle grace que elle gaigna la querelle de son seigneur honnourablement. Et quant vint que tout le traictié fust accomply, l’empereur voult veoir et sçavoir qui estoit le champion du senateur. Si fust desarmée et fust trouvé que c’estoit sa femme, dont l’empereur et toute la ville lui portèrent dès cellui jour en avant plus grant honneur qu’ilz n’avoient fait, et fust à merveilles honorée, tant pour ceste cause comme pour ce que elle se portoit bel et doulcement des maulx que son seigneur ly faisoit bien souvent traire. Et pour ce a cy bonne exemple comment toute bonne femme doit humblement souffrir de son seigneur ce que elle ne puet amender ; car celle qui plus en seuffre sans en faire chière en recouvre x. foiz plus de honneur que celle qui n’a cause de en souffrir, et qui a son seigneur bien entachié, sy comme dit Salemon, qui bien parle des femmes en louant les unes et blasmant les autres.

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