Le livre du chevalier de La Tour Landry pour l'enseignement de ses filles
Cy parle des Galois et des Galoises.
Chappitre VIXXIIe.
Belles filles, je vous compteray des Galois et des Galoises, si comme l’ennemy par son art en fist plusieurs mourir de froit, comme par la flambe de Venus, la deesse d’amours et de luxure. Il advint, ès parties de Poitou et ès autres pays, que Venus, la dame des amoureux, qui a grant art et grant povoir en juennesce, c’est en juennes gens, dont elle fait aucuns amer d’amours raysonnable et honnourable, et autres de fole amour desmesurée, dont aucunes en perdent honneur et les autres ame et corps. Dont il advint que elle fist entreamer plusieurs chevaliers et escuiers, dames et damoiselles, et leur fist faire une ordonnance moult sauvaige et desguisée contre la nature du temps, dont l’une de leurs ordonnances estoit que, le temps d’esté, ilz seroient bien vestuz et chaudement à bons manteaulx et chapperons doublés, et auroient du feu en leurs cheminées. Jà ne feist si grant chaut, ilz se gouvernoient par le temps d’esté comme l’en deust faire le temps du fort yver en toutes choses, et en yver se gouvernoient comme l’en doit en esté, et vous diray comment. En yver, par le plus fort temps, le Galois et la Galoise ne vestoient riens du monde que une petite cote, simple, sans penne ne sans estre lingée, et n’avoient point de mantel ne housse, ne chapperon doublé, fors sanglé, qui avoit une cornete longue et gresle, sans avoir chappeau, ne gans, ne moufles, pour gelée ne vent que il en feist. Et, en oultre, en ycelluy fort yver leurs chambres et leurs places estoient bien nettes ; et qui trouvast aucunes feuilles vertes, elles feussent jonchées par l’ostel, et la cheminée estoit houssée, comme en esté, de fraillon ou de aucune chose verte ; en leurs litz n’avoit que une sarge ligière sans plus, ne plus n’en povoient avoir par celle ordenance. Et, en oultre, estoit ordené entre eulx que dès ce que un des Galois venist là où feust la Galoise, se elle eust mary, il convenist par celle ordenance que il alast faire penser des chevaux au Galoys qui venus feust, et puis s’en partit de son hostel sans revenir tant que le Galoys feust avecques sa femme ; et cellui mari estoit aussi Galois et alast veoir s’amie, une autre Galoise, et l’autre feust avecques sa femme, et feust tenu à grant honte et deshonneur se le mary demourast en son hostel, ne commandast ne ordenast riens depuis que le Galois feust venu, et n’y avoit plus de povoir par celle ordenance. Cy dura ceste vie de cestes amouretes grant pièce, jusques à tant que le plus de eulx en furent mors et peris de froit ; car plusieurs transsissoient de pur froit et en moururent tous roydes delez leurs amies et aussi leurs amies delèz eulx, et en parlant de leurs amouretes et en eulx moquant et bourdant de ceulx qui estoient bien vestus ; d’autres, que il convenoit de leur desserer les dens de cousteaux et les tostoier et froter au feu comme un poussin engelé et mouillié ; car ilz cuidoient contrefaire les autres et muer le temps et saison qui ordonnée est, pour nourrir corps d’omme et de femme autrement que Dieu n’avoit ordonné. Si doubte moult que ces Galois et Galoises qui moururent en cest estat et en cestes amouretes furent martirs d’amours, et que, aussi comme ilz morurent de froit, que ilz ont grant chaut par delà et ardent ; car se ils eussent soufferte la vije partie de la peine et de la douleur pour l’amour du filz de Dieu, qui tant souffry pour eulx, ilz en eussent merité et grant guerredon et gloire en l’autre siècle. Mais l’ennemy, qui touzjours tant à faire desobeir homme et femme, leur faisoit avoir plus grant plaisance et delit en foles amours, desesperées et sauvaiges, que à nul service de Dieu, et les aveugloit par telle manière que il les faisoit mourir et languir de pur froit. Et pour ceste raison, qui est evident, est bien chose esprouvée comment l’annemy tempte et eschauffe homme et femme, et soustient à perir corps et ame, et comment il donne et fait avoir foles plaisances et plusieurs mauvaises manières, c’est-à-dire les uns par convoitise, comme de tirer à soy l’autrui et le detenir ; autres par orgueil, soy trop prisier et les autres deprisier ; les autres par envie de bien que autrui a plus que lui ; les autres par gloutonnie où le corps se delite, qui fait esmouvoir le pechié, comme de yvresse, qui tolt raison et le fait venir au delit de la chair ; les autres par luxure, comme l’ennemy les fait entreamer de fole amour et foles plaisances où il les fait deliter, comme il fist iceulx faulx Galois et Galoises, où il mist tant de fole plaisance que il en fist plusieurs mourir de diverse mort, comme de froit, amis et amies. Pour ce ne dis-je mie que il ne soit de bonnes amours sans deshonneur et dont moult d’onneur vient. Celles sont loyalles, qui ne requièrent chose dont deshonneur ne abaissement viengne ; car cellui n’ayme pas loyaulment qui pense à deshonnourer sa dame et s’amie, ne abaissier son honneur ne son estat ; car ce n’est mie amour, ains est faulx semblant et tricherie ; ne l’en ne puet faire trop grant justice de telle manière de gens. Mais tant vous en dy-je bien que il en court d’uns et d’autres, c’est assavoir de loyaulx et faulx et de decevables, de telz qui se faignent et jurent et parjurent leurs fois et sermens, et ne leur chault, mais que ils aient partout leurs deliz, et usent de faulx semblant et font les pensis, les debonnaires et les gracieux. Si en y a de trompez et de trompées assez par le monde. Et pour ce est le siècle moult fort à congnoistre et moult merveilleux ; et de telz et de telles le cuident bien congnoistre qui en sont deceus, et si congnoissent moins que ilz ne cuident.