Le livre du chevalier de La Tour Landry pour l'enseignement de ses filles
De l’umilité Nostre Dame.
Chappitre CXe.
Après la loue l’escripture de son humilité ; car, quant l’ange lui dist que elle seroit mère du filz de Dieu, duquel le règne n’auroit fin, elle ne s’en orgueillist pas, ainçois dist que elle estoit la chamberière de Dieu et que il en feust à son plaisir. Sy pleust moult à Dieu, tant que il se humilia encore plus comme descendre du ciel et daingnier prendre en son ventre virginal humanité et devenir enffant. Pour ce a cy bon exemple comment toute femme se doit humilier vers Dieu et vers son seigneur et vers le monde. Car Dieu dist : Qui plus se humiliera et se tendra moindre, sera plus hault essaucié et une foiz honnouré. Et pour certain Dieu et les anges ayment plus humilité que vertus qui soit. Car humilité se combast contre orgueil, qui est le pechié que Dieu plus het, dont les mauvais anges cheirent du ciel. Et pour ce doit toute noble femme soy humilier et estre courtoise au grant et au petit, et prendre exemple à la vierge Marie, qui s’appella chamberière de Dieu. Après l’escripture la loe de sa courtoisie et de sa bonne nature, quant elle ala visiter sa cousine sainte Elizabeth et la vouloit servir ; et l’enfant de la sainte, ce fust saint Jehan Baptiste, s’esjoist ou ventre de sa mère tant que, par la grace du saint esprit, sainte Elisabeth se escria que beneist feust son ventre et que elle estoit benoiste sur toutes femmes, et que ce n’estoit pas rayson que la mère du filz de Dieu vensist veoir si povre femme comme elle. Ainsi se humilièrent l’une cousine envers l’autre. Et pour ce a cy bonne exemple conment les unes parentes, cousines et voisines, doivent visiter l’une l’autre en leurs gesines et leurs maladies, et se humilier les unes envers les autres, comme firent ces ij. saintes dames, comme oy avez, et non pas dire comme font aucunes, qui, de leur grant cuer felon et orgueilleux, disent : Avoy, je suis la plus noble, la plus gentil femme ou la plus grant maistresce ; elle me vendra la première veoir. Ou auront envie d’aler les premières et avoir le plus de la vaine gloire du monde ; tant que plusieurs en ont tous les cuers enfflés d’envye et d’orgueil par telle guise que, quant elles ne sont mises les premières aux festes et aux assemblées, elles en perdent le mengier et le boire, tant elles sont envieuses et despiteuses, ha, Dieux ! tant elles pensent peu en la courtoysie et humilité de ces ij. saintes dames et en ce que Dieu en dist en l’Euvangille, comme ouy avez, que les plus humbles seront les plus hault exaulciez. Helas, comme celles foles envies de aler les premières et de elles prisier le plus leur seront une foys reprouchiées et chières vendues, et sy en rendront compte. Dont la bonne royne Hester en parle, disant que, de tant comme une femme est de plus grant lieu ou greigneur maistresce, elle doit estre plus humble et plus courtoise, et de tant emporte elle plus de aventaige, et d’honneur et de louenge de touz ; car les petiz se tiennent honorez quant les grans leur font bonne chière, et que ilz parlent bel à eulx, et en rapportent plus grans louenges et s’en louent à tous, et pour ce n’est-il si humble ne sy gracieuse vertus à toute bonne haulte dame ne jeune femme comme de estre humble et courtoise au grant et au petit et soy humilier et visiter les povres et leur parens et lignaiges, comme la royne du ciel ala visiter sa cousine et comme se humilièrent l’un envers l’autre.