Le livre du chevalier de La Tour Landry pour l'enseignement de ses filles
De aprendre saigesce et clergie.
Chappitre IIIIXXXe.
Je vous diray une autre exemple d’une dame qui avoit une fille qui eust à nom Delbora, laquelle elle mist à l’escole de saigesse et du saint esprit et de sapience. Celle Delbora apprist si bien qu’elle sceust la sainte escripture, et usa de sy sainte vie qu’elle sceust des secrez de Dieu et parla moult des choses à venir, et par son grant senz touz lui venoient demander conseil des choses du royaume et de leurs affaires. Son seigneur estoit maulx homs et crueulx ; mais par son sens et par son bel acqueil elle le savoit bien avoir ; car elle l’ostoit de sa frenaisie et le faisoit paisible et juste à son pueple. Et pour ce a cy bon exemple que l’en doit mettre ses filles pour apprendre la clergie et la sainte escripture ; car pour en sçavoir elles en verront mieulx leur saulvement et recognoistront mieux le mal du bien, si comme fist la bonne dame Delbora et comme fist sainte Katherine, qui par son sens et par son clergie, avecques la grace du Saint-Esprit, elle seurmonta et vainqui les plus saiges hommes de toute Gresce, et par sa sainte clergie et ferme foy elle congnust Dieu, et Dieu lui donna victoire de martire et en fist porter le corps par ses anges xiiij. journées loing, c’est assavoir ou mont de Sinay, et son saint corps rendit huille. Et le commencement et fondement de Dieu congnoistre fust par sa clergie, où elle congnust la verité et le sauvement de la foy. Encore un autre exemple vous diray-je d’un enffant de l’aage de ix. ans qui avoit esté iiij. ans à l’escole, et, de la grace de Dieu, il desputoit de la foy contre les paiens si fort que il les vaincquit touz, et au fort ils l’espièrent tant qu’ilz le prisdrent, et quant ilz le tindrent en leur subjecion ilz le menacièrent à occire ou il renieroit Dieu. Mais, pour tourment que ilz luy peussent faire, il n’en voult riens faire. Sy lui demandèrent où estoit Dieu, et il leur dit : « Au ciel et adjoint en mon cuer. » Lors de depit ils le occirent et lui fendirent le cousté pour voir son cuer, se il disoit voir que Dieu y feust. Et, quant il fut fendu et ouvert, ilz virent de son cuer yssir un coulon blanc, dont il y eut aucuns d’eulx pour celui exemple se convertirent en Dieu. Et pour cest exemple et les autres est bonne chose de mettre ses enffans juennes à l’escolle et les faire apprendre ès livres de sapience, c’est-à-dire ès livres des saiges et des bons enseignemens, où l’on voit les biens et le sauvement du corps et de l’ame, et en la vie des pères et des sains, non pas les faire apprendre ès livres de lecheries et des fables du monde ; car meilleure chose est et plus noble à ouïr et parler du bien et des bons enseignemens, qui pueent valoir et prouffiter, que lire et estudier des fables et des mensonges dont nul bien ne prouffit ne puet estre ; et pour ce que aucuns gens dient que ilz ne vouldroient pas que leurs femmes ne leurs filles sceussent bien de clergie ne d’escripture, je dy ainsi que, quant d’escripre, n’y a force que femme en saiche riens ; mais, quant à lire, toute femme en vault mieulx de le sçavoir, et cognoist mieulx la foy et les perils de l’ame et son saulvement, et n’en est pas de cent une qui n’en vaille mieulz ; car c’est chose esprouvée.