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Le livre du chevalier de La Tour Landry pour l'enseignement de ses filles

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De Suzanne, la femme Joachim.

Chappitre IIIIXXXVIIIe.

Un aultre exemple vous diray de Susanne, la femme Joachim, qui estoit grant seigneur en la chetivoison de Babilonie. Celle Susanne estoit à merveille belle dame et de saincte vie. Si avoit ij. prestres de leur loy qui disoient leurs heures en un verger, et la bonne dame peignoit son chief, qui estoit blanche et blonde. Sy arrivèrent ces ij. prestres sur elle et la virent belle et seule. Lors si furent temptez, et li vont dire que se elle ne vouloit faire leur voulenté, qu’ilz tesmoigneroient qu’ilz l’auroient trouvée en fait de luxure avec un homme, et pource que elle auroit enffraint son mariage, elle seroit lapidée ou arse, selon la loy qui lors couroit. Celle bonne dame fust moult esbahie, qui par faulx tesmoings veoit sa mort ; car deux tesmoings estoient lors creus. Sy pensa et regarda en son cuer que elle aymoit mieulx mourir de la mort mondaine que de la mort pardurable, et mist son fait en la voulenté de Dieu, auquel elle se fioit du tout, et lors respondit à brief qu’elle n’en feroit rien, et qu’elle amoit mieulx à mourir qu’à faulcer sa loy ne son saint sacrement de mariage. Adonc les ij. faulx prestres alèrent ès juges et tesmoignèrent contre elle qu’ilz l’avoient trouvée en avoultrie, c’est à dire à autre que à son seigneur. L’on l’emmena tantost et fust jugiée à mort, mais elle s’escria à Dieu, qui tout savoit, et la loyaulté d’elle et de son mariaige. Et Dieu, qui n’oublie point voulentiers son serf, lui envoia secours et fist venir Daniel le prophète, qui n’avoit d’age que entour cinq ans, lequel s’escria et dist les juges d’Israël, c’est à dire du pueple de Dieu : « Ne occiez pas le sanc juste et innocent de cest fait, et enquerrez chacun par soy, et leur demandés soubz quel arbre ilz la trouvèrent. » Lors le pueple fust esbay de veoir si petit enffant ainsi parler. Si virent bien que c’estoit appert miracle de Dieu. Sy firent l’enqueste à chascun par soy, dont l’un dist que il les avoit trouvez soubz un figuier, et l’autre dist desoubz un prunier, et ainsi furent en faiz contraires ; si furent jugiez à mort, et quant ilz virent qu’il n’y avoit point de remède, ilz recogneurent la verité du fait et distrent qu’ilz avoient bien deservy la mort, et non pas elle. Et pour ce a cy bon exemple comment Dieux garde ceulx qui ont en luy fiance, et qui mettent leur fait en sa main, comme fist la bonne dame, qui mieulx vouloit se mettre en adventure de mourir que parjurer sa loy, c’est assavoir enffraindre son saint sacrement et son loyal mariaige, et si doubtoit plus la perdicion de l’ame et la mort pardurable que la povre vie de cest monde, dont par sa bonté Dieux lui sauva le corps et l’ame, comme ouy avez. Et pour ce toute bonne femme doit tousjours espérer en Dieu, et, pour l’amour de lui et l’amour de son mariage, soy garder de perilz et ne de pechier si grandement ne si vilment comme enffraindre son serement et sa bonne loy.

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