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Le livre du chevalier de La Tour Landry pour l'enseignement de ses filles

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Cy parle de pitié.

Chappitre CVIe.

Je vouldroie que vous sceussiez l’exemple d’un chevalier qui se combaty pour une pucelle. Il fust en la court d’un grant seigneur un faulx chevalier qui pria de folle amour une pucelle ; mais elle n’en voulst riens faire pour lui, pour don ne pour promesse, ains voulst garder sa chair nettement. Et quant cellui vit ce, si lui dist que il luy nuyroit. Si enpoisonna une pomme et la luy bailla pour donner au filz de leans, qu’elle portoit entre ses bras, dont elle la lui donna et en mourut le filz. Si dist le faulx chevalier que la pucelle avoit eu salaire des hoirs de l’enffant pour le faire mourir. Sy fust la pucelle mise en la chemise pour estre getiée au feu ; si plouroit et se guermentoit à Dieu comment elle n’y avoit coulpe et que ce estoit le faulx chevallier qui la pomme lui avoit baillée. Mais il le deffendit, et elle ne trouvoit qui pour le combatre se voulsist offrir, tant estoit fort et redoubté en armes. Dont il advint que Dieu, qui pas ne oublie voulentiers la clameur du juste, si eust pitié de elle, et, comme il lui pleust, il advint que un chevalier, qui avoit nom Patrides, qui moult estoit franc chevalier et piteux, arriva ainsi comme l’on vouloit alumer le feu pour l’ardoir. Le chevalier, qui regarda la pucelle qui plouroit et se doulousoit à Dieu, en eust pitié et lui demanda la verité du fait ; et celle li dist comment il en estoit alé de point en point, et aussi le plus tesmoingnèrent pour elle. Lors le bon chevalier fust esmeu en pitié et getta son gaige pour la deffendre contre cellui faulx chevalier. Sy fust la bataille forte et moult dure, et en la fin le faulx chevalier fut desconfit et la demoiselle sauvée, tant qu’il congneust la trayson, et fut faicte justice de lui. Si advint que le bon chevalier eust v. plaies mortelles, et, quant il fust desarmé, il envoya sa chemise, qui estoit percée en v. lieux, à la pucelle, laquelle garda la chemise toute sa vie et prioit chascun jour pour le chevalier qui telle douleur avoit soufferte pour elle. Et ainsi pour pitié et franchise se combatist le gentil chevalier, qui en eut v. plaies mortels, tout aussi comme fist le doulx Jhesucrist qui se combatit pour la pitié que il avoit de nous et de l’umain lignage qu’il lui faisoit pitié de le veoir ès tenèbres d’enffer, et pour ce en souffrist la bataille moult cruelle et moult penible ou fust de l’arbre de la sainte croix, et fust percée sa chemise en v. lieux, ce furent ses v. douleuses plaies qu’il receust de son debonnaire plaisir et franc cueur pour la pitié que nous lui faisons. Et aussi doit tout homme et femme avoir pitié des douleurs et des misères de ses parens, de ses voysins et des povres, tout aussi comme eust le bon chevalier de la pucelle, et en pleurer tendrement, comme firent les bonnes dames qui plorerent après le doulx Jhesucrist quant il portoit la croix pour y estre crucefié et mis à mort pour nos pechiez.

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