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Le livre du chevalier de La Tour Landry pour l'enseignement de ses filles

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D’une dame honnourable.

Chappitre VIXXVIIe.

Un autre exemple vous vueil dire au contraire de cestui devant ; c’est d’une bonne dame qui fut longtemps veufve. Si fut moult de sainte vie, et moult honnourable, comme celle qui chascun an tenoit feste à Noel de ses voisins, et les envoioit querre près et loin, tant que la salle en estoit bien plainne. Et ne fait mie à demander se elle les servoit et honnouroit bien, chascun selon soy, et à merveilles portoit grant honneur et priveté aux preudes femmes et aux gens qui avoient deservi honneur, et là estoient les menestralx et plusieurs instrumens, à qui elle faisoit moult grant chières et leur donnoit du sien largement, tant qu’ilz l’amoient à grant merveilles, tellement que, quand elle fut morte, ilz en firent une chanson de regret d’elle, où il y a au reffrain :

Helas ! à la Galonnière
N’avons nous plus bel aler,
Comme endroit ma dame chière,
Qui tant nous souloit amer.

Et ainsi la regretoient. Et après ce elle avoit telle coustume que, se elle sceut aucune povre gentilfemme qui feust mariée près d’elle, elle l’ordonnast et arroiast de joyaulx et de mantel et lui faisoit tant de biens qu’elle povoit, et, se elle n’y allast, elle y envoiast de ses damoyselles l’arroyer et lui faire honneur, et aloit aux enterremens des povres gentilz hommes et gentilz femmes et leur donnoit la cire ou ce qui leur faisoit mestier, et puis se revenoit mangier en son hostel, et ne souffrist pas que gens qu’elle eust leur fist nul coust. Son ordonnance de chascun jour estoit qu’elle se levoit assés matin et avoit tousjours deux frères et deux ou iij. chappelains qui lui disoient matines à notte et messe à notte, sans les autres messes, et, quant elle estoit levée, elle venoit tout droit à sa chappelle, et entroit en son oratoire, et là disoit ses heures, tant comme l’en disoit matines et une messe. Et après elle se aloit arraier et attourner, et après cela elle s’aloit esbattre ès vergiers ou à l’environ son hostel, en disant ses heures, puis venoit faire aucunes petites messes dire et la grant messe, et puis aloit disner, et, après disner, s’elle sceut aucun malade ou femme en gésine, elle les aloit veoir et visiter et leur feist porter de sa meilleure viande et du vin, et là où elle ne povoit aler, elle tramettoit un varlet tout propre sur un petit cheval, qui aloit veoir les malades là où ilz estoient, et leur portoit vin et viandes. Et après vespres elle aloit soupper, se elle ne junast, selon le temps et la saison, et faisoit au soir venir son maistre d’ostel, et vouloit savoir que l’en mengeroit lendemain, et ordonnoit de ses choses qui failloient, et vivoit par bonne ordenance, et vouloit que l’en se pourveist de loing des choses qui estoient necessaires pour son hostel. Elle faisoit moult de abstinences, et entre les autres choses elle vestoit la haire le mercredi, le vendredi et le samedi. Comment je le sais, je vous le diray. La bonne dame morut en un lieu qu’elle tenoit en douaire, qui estoit de monseigneur mon père, et, quant elle fust morte, nous y venismes demourer, mes suers et moi, qui estions encore petis. Et fut depecié le lit où elle morut ; si fut trouvée dedans une haire. Si avoit leans une damoiselle moult bonne femme, qui avoit demeuré avecques la dame ; si prist la haire et la mist en sauf, et nous dist que estoit la haire à sa feue dame, et qu’elle la vestoit troix jours de la sepmaine, et nous compta la bonne vie et les meurs d’elle, et comment elle se levoit chacune nuit iij. fois du moins et s’agenouilloit en la venelle de son lit et rendoit graces à Dieu, et prioit pour les mors et faisoit moult d’abstinences, et estoit piteable ès povres et moult charitable et de moult sainte vie. La bonne dame, qui bien fait à nommer, eut nom madame Olive de Belle Ville, et je lui oy dire que son frère tenoit bien xviij. mil livres de rente ; mais pour ce elle estoit la plus courtoise dame et la plus humble que je vy oncques, selon mon avis, et qui moins se prisoit et moins estoit envieuse, ne jamais ne voulsist que l’en mesdeist de nulz ne ne voulsist oïr parler maulx de nulz, et que l’en parlast devant elle, et quant aucuns en parloient, elle les desblasmoit et disoit que, si Dieu plaist, ilz se amenderont, et que nulz ne savoit qui lui estoit à venir, et que nulz ne devoit juger d’autruy, et que les vengences et les jugemens de Dieu estoient moult merveilleux, et ainsi reprenoit ceulx qui le mahain et les maux parloient d’autruy, et les faisoit taire, sans les esbaïr de ce que elle les reprenoit ainsi. Et ainsi doit faire tout bon homme et toute bonne femme à l’exemple de ceste. Et saichiez que c’est une noble vertu que non estre envieux ne joieux du mal d’autrui recorder, selon Dieu et selon son honneur. Et, pour certain, la bonne dame disoit que ceulx qui se ventoient et reprouchoient les maulx et les vices d’autruy et qui voulentiers se bourdoient de leurs voisins et d’autruy, que Dieux les punissoit de telz vices ou eulx ou les prouchains de ceulx, dont ilz avoient puis honte. Et ce ay-je souvent veu avenir, comme disoit la bonne dame ; car nul n’a que faire de jugier ni reprouchier ne enquerre le mal de son voisin ne d’autruy. Et toutesfois il me souvient bien de beaucoup de bons dis de la bonne dame ; si n’avois-je que environ ix. ans quant elle morut. Si vous di bien que, se elle eust bonne vie, elle ot bonne fin, si belle que ce seroit belle chose à le raconter. Mais long seroit, et dist l’en communement que de bonne vie bonne fin, et pour ce est bel exemple de faire comme elle fist.

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