Le livre du chevalier de La Tour Landry pour l'enseignement de ses filles
Cy parle des bonnes dames qui plouroient après Nostre Seigneur quant il portoit la croix.
Chappitre CIIIe.
L’autre exemple est des bonnes dames qui plouroient après nostre seigneur quant il portoit la croiz sur ses epaules pour y transir la mort de sa voulenté pour nos pecheurs raimbre. Celles bonnes dames estoient de bonne vie et avoient les cuers doulx et piteux, et Dieu se tourna devers elle et les conforta en disant : « Mes filles, ne plourez pas sur moy, mais pleurez sur les douleurs qui à venir sont », et leur monstra le mal qui puis avint au pays, si comme vous le trouverez en livre que j’ay fait à voz frères. Celles bonnes dames, qui eurent pitié de la douleur que les en faisoit souffrir à nostre seigneur, ne servirent par leurs lermes ne leurs pleurs. Car depuis Dieu les en guerredonna moult haultement. Et pour ce a cy bon exemple comment toute bonne femme doit avoir pitié du mal que l’en fait aux povres gens qui sont servans et ouailles de Dieu et representans sa personne, si comme il dit en l’euvangile : Qui a pitié du povre il a pitié de lui, et le bien que l’en lui fait il est fait à lui. Et encore dist plus, que les piteables auront mercy, c’est assavoir que il aura mercy d’eulx, dont le saige dit que femme de sa nature doit estre plus doulce et plus piteuse que l’omme. Car l’omme doit estre plus dur et de plus hault couraige. Et pour ce celles qui n’ont le cuer doux et piteux sont hommaux, c’est-à-dire qu’il y a trop de l’omme. Encore le saige dist en la sapience que femme de bonne nature ne doit point estre chiche de ce de quoy elle a grant marchié, c’est assavoir de lerme de humble cuer qui a pitié de ses povres parens à qui elle voit avoir besoing et de ses povres voisins, si comme avoit une bonne dame qui fust comtesse d’Anjou, laquelle fonda l’abbaye de Bourgueil et y est enterrée, et dit l’en que elle est encores en sanc et en char. Celle bonne dame, là où elle savoit de ses povres parens qui ne povoient honestement avoir leur estat, elle leur donnoit, et marioit ses povres parentes et leur faisoit moult de bien. Après, là où elle savoit povres gentilz femmes pucelles qui estoient de bonne renommée, elle les avançoit et les marioit ; elle faisoit enquerre les povres mesnaigers par les paroisses, et leur donnoit ; elle avoit pitié des povres femmes en gésines et les aloit veoir et repestre ; elle avoit ses fisiciens et cirurgiens à guérir pour Dieu toute manière de gens, et par espécial les povres qui ne avoient de quoi payer. Elle avoit pitié du mehaing du povre, dont l’en dit que, quant l’en li bailloit son livre ou ses gans, que aucune foiz ilz se tenoient en l’air tout par eux et moult d’autres signes que Dieu demonstroit pour elle. Et pour ce toute bonne femme y doit prendre bon exemple et ainsi avoir pitié l’un de l’autre, et penser que Dieu donne les biens pour l’en recongnoistre et avoir pitié des povres. Sy vous laisse de ces bonnes dames et de cette matière ; car je y reviendray arrière et vous parleray d’un autre exemple.