Le songe d'une femme: roman familier
PIERRE BAZAN A PAUL PELASGE
Paris, 8 septembre.
… Léda vient de rentrer aux Pins, en convoyant son mari assez malade. Je l'ai à peine vue, quoiqu'elle ait bien voulu encore m'accorder quelques moments. Mais j'ai senti que c'est la fin et qu'elle a trouvé un instrument plus agréable à ses mains délicates et fraîches. La vérité, cher ami, c'est qu'elle a emmené Patraque en qualité de lectrice! Il est vrai que Patraque lit fort bien, qu'elle a passé quelques mois au Conservatoire, qu'elle a été institutrice. Peut-être même la petite rusée a-t-elle des diplômes, des certificats! Elle a surtout sa beauté de pervertie, son regard crispant, le mouvement singulier de ses lèvres dont le langage muet est compris de celles qui veulent comprendre. N'étant pas assez débauché pour me réjouir d'un incident qui me donnerait peut-être deux maîtresses sans préjugés, si je le voulais bien, je me tais, un peu humilié, et je peins avec une férocité désespérée. Maintenant que j'ai renoncé à Léda, ma suite de femmes au cygne me semble médiocre; je ne les exposerai pas et quand j'aurai extorqué assez d'argent à Durand, j'irai regarder les yeux purs des Bretonnes en prière…
P.-S.—Léda a oublié chez moi un petit sac où j'ai trouvé ce paquet de lettres. Je n'ai aucun scrupule à te les envoyer. Celle que j'ai entr'ouverte est datée des Frênes. Il s'agit donc bien de Joconde. Sois heureux. Je t'écrirai de Bretagne.