Le songe d'une femme: roman familier
ANNETTE BOURDON A ADÉLAÏDE FAIRLIE
Versailles, 28 septembre.
… Pourquoi me dis-tu des choses méchantes? Je ne demande qu'à être raisonnable et à ne pas souffrir. Je suis née pour sourire et non pour pleurer.
J'avais eu tant de plaisir pendant ces deux mois! J'avais joué si ingénument avec les fleurs et avec mon cœur! Les fleurs sont mortes et mon cœur est malade. Oui, je viens, mais tu m'embrasseras en silence et si je pleure tu m'essuieras les yeux. Mon père me traite avec dureté et me parle avec ironie. Je ne vois pas bien pourquoi ce mariage manqué le contrarie si fort. Il y revient à chaque instant et son imagination, que je n'aurais pas crue si riche, lui fournit les allusions les plus cruelles et les plus blessantes. Cependant ma tante reste muette comme à l'ordinaire, mais il y a je ne sais quelle colère dans ses yeux si beaux et si résignés. Mademoiselle me console et me cajole d'une voix menteuse. Ah! chère Adélaïde, j'ai peur de commencer à comprendre un peu la vie; j'ai peur d'avoir appris tout d'un coup à regarder autour de moi! Enfin, je suis libre. Mon père m'a permis de partir à peu près dans les termes qu'il eût choisis pour me chasser. Je ne sais comment je pourrai vivre là désormais. Chère Adélaïde, je suis toute endolorie. Tu me toucheras avec précaution, n'est-ce pas?…