Le songe d'une femme: roman familier
ANNETTE BOURDON A ADÉLAÏDE FAIRLIE
Les Frênes, 23 septembre.
… Tout est fini, chère Adélaïde. La petite fiancée est redevenue l'enfant à personne que j'étais en arrivant aux Frênes, toute pleine de rires et de joies. Je ne comprends pas bien encore ce qui s'est passé. A mon âge on ne comprend pas bien. C'est ce que m'a dit mon père. Je ne comprends pas, mais je souffre. J'ai de la fièvre et des rêves. Dès que je m'endors, je vois passer devant moi, comme si j'étais en chemin de fer, toutes mes journées de jeu et d'amour; je reconnais tous mes gestes, mes robes, mes petites aventures dans la campagne, je suis émue, je souris, je suis heureuse,—et tout d'un coup la terre se met à trembler, il y a un grand orage, la nuit tombe, je m'évanouis. Quand je reviens à moi, c'est-à-dire quand je me réveille, j'ai la sensation d'une solitude noire et triste. J'ai peur, je tremble et j'attends le jour en pleurant. Je voudrais bien être morte, chère Adélaïde. Il est parti. Je n'ai pas voulu l'écouter, ni même le regarder. Je n'ai parlé qu'à mon père, qui a plus de colère que de chagrin; cela augmente mon trouble. Mademoiselle a voulu me persuader que je n'avais rien vu, que je suis une rêveuse. J'avais envie de la battre. Ma sœur a eu du chagrin, mais non pas à cause de mon chagrin. Elle pense que cette histoire la prive des huit jours que nous devions encore rester ici; mais que j'aie le cœur brisé, cela ne l'inquiète pas. Je suis seule. Enfin, nous rentrons à Versailles demain; je te raconterai tout. Nous pleurerons ensemble, dis?
Ton amie inconsolable,