Le songe d'une femme: roman familier
PIERRE BAZAN A PAUL PELASGE
Havoque, 14 octobre.
Mon cher Pelasge, tu as bien fait de brûler mes lettres, puisque tu ne les croyais pas exactes. Je ne sais plus. Ai-je mêlé des imaginations d'amant à des réalités de peintre? C'est possible. En tout cas, la question ne m'intéresse plus du tout; et moi je ne me souviens jamais du passé. Fais de même. Laisse reposer la source que tu as troublée; oublie le goût de l'eau fraîche, trop fraîche, où tu plongeas la main un jour de chaleur. Voilà l'automne. Bois du champagne. Laisse aux cœurs simples la douceur de leur chagrin innocent. Le goût des larmes ne te convient pas. Il faut pouvoir pleurer soi-même pour être ému par une femme qui pleure.
Oui, je suis sibyllin; mais pour que tu comprennes très bien mon oracle, je te dirai que je ne crois pas plus à l'histoire de tes jeux amoureux avec A. que tu ne veux croire à ma métamorphose en cygne. Je t'offre ceci contre cela. Adieu.