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Par-dessus le mur

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UNE BONNE FORTUNE

— Eh bien, oui, mercredi, à trois heures, chez vous…

— Merci, merci, bégaya Henri Trézal aussi passionnément que la stupeur le lui permit.

Alice s’éloigna vivement de lui. Son mari les rejoignait dans la serre.

Henri Trézal s’en alla peu après, n’ayant pas encore retrouvé ses esprits.

« Alors elle m’aime… alors elle m’aime… », se répétait-il. Ce n’était pas un flirt innocent, c’était sérieux ! Ces avances, que je croyais des coquetteries sans conséquences, c’étaient les témoignages irrésistibles de la passion. Depuis quand m’aime-t-elle ? Il y a sept ans qu’elle est mariée et que je la connais… »

Ici il éprouva un peu de remords anticipé, parce qu’il était, depuis le collège, l’ami intime de Roger Bulac, le mari d’Alice (ce sentiment ne s’implanta pas), et une assez notable inquiétude, parce que Roger Bulac, bon garçon et jovial d’habitude, était fort violent et certainement quatre ou cinq fois plus fort que lui.

Dans son élégant rez-de-chaussée de garçon riche et qui aime ses aises, Trézal, devant une glace, se contempla longuement. Il constata qu’il était beaucoup mieux qu’il ne croyait, et qu’il avait jusque-là méconnu sa vocation mondaine, qui était de séduire. Il revit ensuite Alice, brune, souple et désirable, et se convainquit de l’ardente joie qu’il éprouvait.

Le mercredi vint et, avec lui, à trois heures et demie, Alice.

Elle songeait à se rhabiller, vers la fin de l’après-midi, quand le téléphone, sur la table du boudoir, tinta.

— Je vais répondre, tu vas voir comme je sais changer ma voix ! dit Alice à Trézal, qui la contemplait en extase.

Et elle ajouta, gamine, le menaçant du doigt :

— Si c’est une femme…

Elle se pencha vers l’appareil avant qu’il eût le temps de l’arrêter. Elle écouta. Il la vit devenir blême. Elle répondit deux fois : « Oui, oui » d’une voix rauque, étranglée, méconnaissable, raccrocha le récepteur, si tremblante qu’elle dut s’y reprendre à deux fois, et dit à Trézal :

— C’est mon mari. Il vient ici…

Trézal se dressa, livide.

— Hein ?… Ton mari ?… Ici ?… Il sait ?…

— Non. Il croit qu’il vous a parlé. Il a ri en disant que vous aviez une drôle de voix. Il vient en auto…

— Mais pourquoi n’as-tu pas dit ?…

— Ah ! ne me tutoyez pas, ce n’est pas le moment ! Dire quoi ?… Pour qu’il reconnaisse ma voix, n’est-ce pas ?…

— Il faut que vous partiez à l’instant ! affirma Trézal, qui renouait convulsivement sa cravate.

— En chemise comme je suis, n’est-ce pas ? M’habiller ? (Elle haussa les épaules.) Pour sortir juste au moment où il arrivera ? Pour me trouver nez à nez avec lui dans l’escalier ?… Rien que pour lacer mes bottines il me faut dix minutes…

Trézal eut un coup d’œil de haine vers les hautes tiges de daim gris.

— Pourquoi n’avez-vous pas mis de petits souliers, aussi ?

— Parce que je manque d’expérience probablement ! cria-t-elle, rageuse. Vous êtes inimaginable, à la fin !

— Calmez-vous ! Ne nous affolons pas, balbutia Trézal dont les dents claquaient. Il faut prendre un parti… Mon Dieu, quelle idée de répondre à ce téléphone !…

— Pourquoi en avez-vous un ?… Allons, êtes-vous enfin prêt ? Vous n’avez qu’une chose à faire : le recevoir, sans avoir l’air de rien, dans une autre pièce.

— Évidemment, évidemment… Quand il vient, c’est au salon, en effet, que je le reçois. Je vais y passer. Je fermerai la porte d’ici à clé… Surtout ne faites pas de bruit, les cloisons sont minces…

— Et vous, ne claquez pas des dents et cessez d’être vert, si vous pouvez. Vous avez la peur peinte sur la figure…

— Oh ! c’est pour vous seule que je m’inquiète, croyez-le…

Il passa dans le salon, ferma la porte à double tour, mit la clé dans sa poche. Il lui semblait que les battements de son cœur devaient s’entendre de la rue. L’adultère, il s’en rendait bien compte, était vraiment une chose hideuse. Le coup de sonnette attendu le fit bondir. Il alla ouvrir en se disant : « Ma vie est en danger. »

Vingt minutes plus tard, il reconduisait Roger Bulac qui, au seuil, en lui serrant la main avec effusion, lui disait :

— Merci encore, mon vieux… Tu es toujours le meilleur des copains. Cette petite est de bonne famille, timide, réservée. La mener à l’hôtel, impossible !… Alors, c’est entendu, je trouverai ta clé à deux heures chez ton concierge.

— C’est entendu, mon vieux.

Une dernière poignée de main, solide, pleine de cordialité, et, la porte refermée derrière Bulac, Henri Trézal revint vers le boudoir, rayonnant.

— Eh bien ! cria-t-il en entrant, ça y est ! Il est parti ! Il ne se doute de rien !…

Il s’interrompit. Alice, qui s’habillait violemment, tournait vers lui une face blanche, décomposée par la colère.

— Assez ! Oh ! assez, n’est-ce pas ? siffla-t-elle entre ses dents serrées. Il ne se doute de rien !… Ah ! vraiment, il ne se doute de rien !… Et c’est cela que vous osez venir me dire après que…

— Vous avez entendu ? balbutia Trézal stupéfait de sa fureur.

— Naturellement ! Est-ce que vous me croyez assez bête pour ne pas écouter ce qu’il avait à vous dire ? Ah ! le misérable, le misérable !… Me tromper !… Chez moi !… Séduire la gouvernante de ma fille ! Obtenir un rendez-vous de cette gueuse et venir vous emprunter votre appartement pour la recevoir ! Ça, c’est le comble ! Vraiment, c’est le comble ! Et vous, vous trouvez ça très bien ! Vous dites oui ! C’est du joli ! Ah ! c’est du joli !

— Mais je ne pouvais pas dire non, gémit Trézal. Il l’a fait pour moi dans le temps, quand j’habitais avec ma famille et que lui habitait seul… Et moi aussi je l’ai fait déjà… Si j’avais refusé cette fois-ci, il n’aurait pas compris…

Il sentit qu’il s’enferrait et s’arrêta.

— Très bien ! On ne peut mieux ! cria Alice, qui se poudrait à coups de poing. Alors, ce n’est pas la première fois ! Alors il a l’habitude de me tromper ! Et cette sale petite grue de Constance avec son air sainte-nitouche !… Moi qui la traitais comme une amie. Ah ! mais, ça ne se passera pas comme ça !…

Elle sortait. Il l’arrêta.

— Alice, qu’est-ce que vous allez faire ?

— De quoi vous mêlez-vous ? Vous ne pensez peut-être pas que je vais garder cette fille une heure de plus !… Et quant à Roger…

— Mais réfléchissez ! Réfléchissez, je vous en prie ! Il n’y a qu’à moi qu’il a dit… Donc il n’y a qu’auprès de moi que vous avez pu apprendre… Inévitablement il comprendra… Dissimulez, au moins… Attendez quelques jours. Ayez l’air d’avoir surpris par hasard… Songez au danger auquel vous nous exposez… à la violence de Roger… Il est capable…

— Je m’en moque pas mal ! Êtes-vous fou de croire que je pourrai supporter seulement cinq minutes de voir cette grue chez moi ! auprès de lui !… Et quant à sa colère à lui, quand c’est lui qui me trompe !… Ce serait le comble !… D’ailleurs, je m’en moque !…

Désemparé, il trouva un dernier argument, plaintif :

— Vous ne m’aimez donc pas ?…

Elle le regarda en face, ne prit pas la peine de lui expliquer que, voulant une fois dans sa vie expérimenter l’adultère, elle l’avait choisi, lui, précisément, parce qu’il était trop raisonnable, trop correct et trop prudent pour jamais s’imposer par une passion gênante ou compromettante, elle éclata en un rire saccadé, haussa furieusement les épaules et s’élança au dehors…

Seul, il resta un moment anéanti. Puis l’imminence du péril lui rendit quelques forces. Il se précipita dans un cabinet noir, en ramena une malle et se mit à y entasser fébrilement tout ce qu’il fallait pour un voyage d’assez longue durée.

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