L'ami : $b dialogues intérieurs
PORTRAIT
Tes grands yeux bleus d’une infinie douceur semblaient regarder l’au-delà plus souvent que le présent et, même petit enfant, tes questions et tes propos témoignaient d’une singulière ouverture sur le monde spirituel.
Pourquoi n’as-tu jamais été bien réconcilié avec ta qualité de garçon ? Ta grâce toute féminine s’accommodait mal des jeux turbulents. A l’écart, tu recherchais de plus paisibles plaisirs. Et peut-être avais-tu le pressentiment inconscient de ta mort prématurée, te sentant mis à part pour d’autres destinées.
Tu n’as pas noué ton pacte avec la terre, comme si tu avais su qu’elle n’était qu’une hôtellerie de passage, non le domicile.
Sa poussière et ses souillures te sont demeurées inconnues. A l’âge où d’autres perdent le duvet de leur naïveté et se plaisent aux actes grossiers, aux paroles crues, tu es devenu plus naïf, avec plus de conscience.
Les mots qui sonnent mal glissaient sur ta mémoire. Rien d’impur ne s’y fixait. Ta candeur grandissait avec l’âge, et tu atteignais presque la taille d’homme, ayant conservé, sans nulle contrainte ni peine, la blancheur d’innocence de l’enfant. « Heureux ceux qui ont le cœur pur ; ils verront Dieu ! » Ta jeunesse liliale ressemblait au parfum de ces paroles.
S’irriter, s’emporter, imposer son vouloir, tout cela t’était inconnu. Simplement tu allais à ce qui est bon. Tout jugement dur sur autrui, tout échange de propos agressifs t’était odieux. Tu avais l’équité naturelle et l’indulgence innée. Qu’il soit pris, par chacun, des égards pour les autres, et que rien d’injuste ne soit commis ni souffert, c’était ton désir cordial !
Et ce tact sûr, ce goût délicat te faisaient un compagnon plein de charme et de bon conseil, respirant la paix et la communiquant. Auprès des petites sœurs et du frère, tu jouissais d’un droit d’aînesse indiscuté, établi sur le seul prestige de la parfaite bonté.
Pour ta mère déjà tu devenais une compagnie, une ressource, un confident.
Discret et docile comme un fils respectueux, ton avis était consulté comme celui d’un grand frère.
Et moi, chargé du fardeau d’un redoutable ministère, je te voyais grandir, clairvoyant et pacifique, débonnaire et pieux, un futur compagnon d’armes, un disciple rêvé.
A travers cette âme d’élite, ouverte à la beauté, sensible à la grâce, vibrante devant tout ce qui est noble et pur, je voyais l’Évangile éternel reflété en clartés nouvelles et déjà, précédant le temps par l’espérance heureuse, le père entendait le fils proclamer le message d’amour et répandre la bonne nouvelle, attendue des cœurs meurtris.
O comme nous t’aimions !
Inattendu, comme tombe du ciel bleu un coup de foudre, le mal te saisit. En quelques jours il fallut rompre le cercle de famille et partir, chercher à l’altitude un auxiliaire contre l’ennemi.
Nous fûmes vaincus. Mais tu n’as jamais murmuré, ni formulé une plainte. Où donc avais-tu appris la patience, l’art difficile de souffrir, le calme dans la misère et la simplicité devant la mort ? Dieu seul le sait.
Te savoir en sa main, dans cette main où sont aussi les vivants, voilà notre suprême refuge dans la peine. Que Dieu nous le garde, nous augmente la confiance pour les jours à venir et nous la maintienne, à l’heure dernière.
Cher ami, prématurément parti d’entre nos bras où tu étais et restes tant aimé, ta place vide sera pour nous une cause de deuil et de regrets.
Mais comme ta figure était douce à la mort, comme tu as souffert avec patience, comme ton bon sourire et tes caresses mettent de la lumière sur ces heures sombres ! Tu nous as semé de rayons tout blancs la route de la mort et mis aux portes du tombeau comme une lueur d’aube. Que Dieu nous donne de nous souvenir de toi quand nous aurons à souffrir et à partir !
Je ne demande qu’à être comme toi, aussi simplement résigné, aussi confiant, aussi naturel. Tu n’auras pas vécu pour rien, mon cher petit Pierre. Tu resteras vivant et agissant parmi nous, jusqu’au jour où nous nous retrouverons dans le monde invisible, dont toute forme visible n’est que le lointain symbole.