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L'ami : $b dialogues intérieurs

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L’UNIVERS EXPLIQUÉ ?

L’Ami. — L’oiseau, dans la conception mécanique du monde, est plus grand que la cage ; l’homme, plus grand que le monde ; l’effet, supérieur à la cause.

Trop expliquer détruit le charme. Et c’est une pure illusion. Expliquer c’est dominer. On n’explique que ce qui nous est inférieur. Pour nous comprendre parfaitement, avec notre destinée, il nous faudrait pouvoir nous dépasser. Absurde prétention ! Si donc nous construisons, avec des éléments à notre portée, une théorie sur notre propre nature, l’homme, par nous construit, sera notre créature. Quoi d’étonnant si nous désespérons de nous-mêmes, réduits à une telle mesure ? Nos explications, d’ailleurs, aboutissent au même résultat, chaque fois que l’esprit s’enferme dans un système clos. Les philosophies qui expliquent, et les religions qui expliquent, n’évitent pas l’écueil. Ce que nous expliquons est au-dessous de nous. Le penseur spiritualiste, ou l’homme d’une doctrine religieuse, enfermés dans leur formule, finissent par y étouffer. L’air manque, l’espace manque, la lumière manque.

Tout univers fait de main d’homme, est caduc. Quelques bons chocs, et c’est la fin du monde !

— Mieux vaudrait donc renoncer à expliquer. Comment y parvenir ? La soif de connaître est-elle mauvaise ? Le tourment de l’infini, l’angoisse de la destinée, qui donc les fera taire ? Pour moi, je m’endors et m’éveille en leur compagnie, et toute action, toute pensée les cache à l’arrière-plan.

L’Ami. — Personne ne peut réprimer ce qui est foncièrement humain. Ne renonce donc pas à expliquer, à te rendre compte de toi et de ce qui se passe en toi, comme de tout ce qui t’entoure. Mais rends-toi compte en même temps de ta condition, comme de tes moyens ! Chercher, se rendre compte, c’est bon, salutaire. Mais se contenter de ce qu’on a trouvé, s’arrêter, se priver de ce que d’autres, près de vous, ont rencontré sur d’autres chemins, voilà qui est mauvais. Faire une copie, et penser ensuite qu’on a créé l’original, voilà l’illusion. Nos explications sont des efforts, incertains du succès ; des aspirations, non de la possession. Leur caractère d’infériorité doit rester constamment chose entendue.

— Alors c’est l’incertitude, l’aléa perpétuel. Rien de définitif, jamais, nulle pensée qui ne soit une erreur ?

— L’Ami. — Mais non, ce serait du scepticisme et du plus mauvais. Toute pensée juste est en route vers la vérité. Toute explication motivée se trouve en chemin vers la solution. En chemin nous-mêmes, c’est de telles conceptions, comme nous perfectibles, que nous avons besoin. La vie c’est l’évolution perpétuelle. Mais au sein de cette mue des idées, un point solide demeure : la foi. On ne sortira jamais de là. Nous ne saurions vivre par la vue seule. Toutes nos explications souffrent d’insuffisance. Pas une ne peut nous nourrir. Elle ne contient pas l’élément d’infini qui doit entrer, comme part essentielle, dans toute nourriture d’âme. La foi donne cet élément : elle fait crédit à Dieu. Et certes ce n’est pas trop s’avancer que de le croire solvable. Voilà le programme humain : un chercheur ardent, ouvert à toute clarté naissante ; un croyant assuré en Dieu.

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