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L'ami : $b dialogues intérieurs

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SIMPLICITÉ

Caché aux intelligents ; révélé aux enfants.

— J’adore la simplicité.

L’Ami. — Tu as mille fois raison, c’est le trésor des trésors, mais attention ! Méfie-toi de ses contrefaçons ! Il y a des humbles rongés d’orgueil, des simples dont la rouerie déjoue l’esprit le plus avisé. Même dans ce qu’on pourrait appeler les milieux simples, rien n’est rare comme la vraie simplicité.

— Pourquoi faut-il que la source pure ait près d’elle la plante vénéneuse et sous le cristal de ses eaux abrite le reptile malfaisant ?

L’Ami. — C’est la vie, cela. A la lumière la plus intense répond l’ombre la plus noire. Tu connais la parole du Christ sur les choses cachées aux intelligents, révélées aux enfants. La fausse simplicité peut transformer cette magnifique et véridique déclaration en une source d’erreurs et d’impostures.

— Comment cela ?

L’Ami. — Derrière une semblable parole mal comprise, l’ignorance prétentieuse défie le savoir ; la superstition grossière se rit de la foi authentique. Il y a un état d’esprit qu’on pourrait ainsi exprimer : Ceux qui n’ont rien appris en savent plus long que ceux qui ont pris la peine d’étudier. Une telle prétention paraît folle. Or, non seulement elle a toujours existé, mais elle a la vie dure et dispose d’un inépuisable crédit. On a pu parler de la faillite de la science ; l’ignorance est à l’abri de semblables propos ; ses affaires resteront toujours florissantes.

On verra toujours le rebouteur et l’empirique se dresser en face de la science médicale ; les hommes n’ayant aucune idée de l’origine et de la composition de la Bible, défier ceux qui ont pieusement peiné sur les questions de critique. L’incompétence en toute matière donne une confiance et un aplomb que le savoir discret et modeste ne connaît pas. Et aux yeux de la foule, si la réserve, la peur de se tromper sont un signe de faiblesse, la suffisance est un indice de puissance.

Caché aux intelligents, révélé aux enfants ! Tous les jours une odieuse parodie de cette pensée est fournie dans les milieux où les enfants se croient plus sages que les anciens. Souviens-toi du verbe haut de certains jeunes à table, lorsque les parents les écoutent, muets d’admiration si l’affection les aveugle, consternés s’ils voient clair !

— Dieu nous préserve de ce genre de simplicité d’esprit et de cette espèce d’enfants ! Des simples, des enfants, ceux-là ? Mais ce sont, au contraire, des vaniteux gonflés de puérilité prétentieuse !

L’homme d’expérience et de compétence, qui a cherché, interrogé les faits, dépensé sa vie à se renseigner, voilà le vrai humbl ! Il ne prétend rien savoir par lui-même. Et c’est pour avoir su redevenir enfant, reconnaître son ignorance, recourir au labeur patient, qu’il a pu soulever un coin du voile et apprendre quelque chose.

L’Ami. — Il n’en reste pas moins une vérité de premier ordre dans cette parole : caché aux intelligents, révélé aux enfants.

Et d’abord :

Il y a une disposition d’esprit qui ne permet pas de profiter, de s’éclairer. Je l’appellerai : l’esprit fermé.

Dans cette disposition fermée sont tous ceux, tant perspicaces et intelligents soient-ils, qui sont des gens à systèmes et à formules, des sectaires envahis par l’esprit de parti et les préventions. Ils n’ont rien à apprendre, ils savent. Ils ne cherchent pas la vérité, ils la possèdent. Ils en sont les détenteurs patentés, l’offrent, l’exportent ; mais ils n’importent plus. Eux seuls sont les vrais, les purs, les croyants, les intelligents. Aussi rien, désormais, ne peut plus entrer dans de semblables esprits. Imperfectibles, incorrigibles, incapables de s’amender et de réparer leurs tares, ils périssent, armés de la triple cuirasse de leur suffisance. Tous les mandarinats scientifiques, tous les dogmatismes religieux et philosophiques en sont là. Ils font le désespoir de quiconque travaille à établir quelque chose de bien, en dehors de tout ce qui est officiellement reconnu. Tout pionnier de l’avenir les trouve sur son chemin. Et le pessimisme n’est pas exagéré, qui s’exprime dans cette comparaison d’une rigueur presque choquante : « Les publicains et les femmes de mauvaise vie entreront au royaume avant vous. »

Les promoteurs d’idées scientifiques nouvelles n’ont-ils pas fait, pour leur part, et au milieu de combien d’amertumes, l’expérience que les esprits encore incultes étaient plus accessibles aux vérités neuves que ceux occupés, encombrés, saturés par des conceptions trop arrêtées.

Il faut s’examiner soi-même avec soin et tous les jours, pour échapper à ce danger. C’est le danger de mourir misérable, parce qu’on se croit trop riche. — Mais voici bien autre chose :

J’estime que rien n’est plus essentiel au développement moral et à l’équilibre humain que de s’en rendre compte. Caché aux intelligents, révélé aux enfants.

Nous possédons par instinct, par grâce, par droit de naissance, d’emblée et quelquefois sans nous en douter, d’immenses richesses que l’excès de réflexion et d’analyse, la rage de disséquer et de rationner nous fait perdre. Méconnaître cela, l’oublier, est un des plus grands malheurs de la vie.

— Ce malheur, je l’ai senti par moments s’approcher de mon âme. Je crains que ce ne soit un mal de ce temps plus encore que des précédents.

L’Ami. — La première condition de succès dans la lutte est la connaissance de l’ennemi. Un homme prévenu en vaut deux. La peine que nous prenons d’apprendre est une peine méritoire et juste. L’enfant est animé d’une heureuse curiosité qu’il faut tenir éveillée. Bien conduite, elle devient chez l’homme la soif de savoir, mère de toutes les conquêtes de l’intelligence.

Mais si l’homme, à force de peiner pour mieux savoir, devait arriver à constater qu’il a désappris ce qu’il savait, ce serait une perte irréparable, et il aurait lieu de regretter la sécurité de l’enfant. Apprenons, faisons usage de nos lumières ; mais ne tuons pas l’enfant en nous, c’est-à-dire l’être confiant, primesautier, sincère, dont la vie d’une richesse infinie est alimentée par l’obscur contact avec la Source !

« A force de sagesse ils sont devenus fous ! » Les âmes simples et droites reçoivent cette impression devant les hommes à culture raffinée, alambiquée, factice. Pour ces artificiels, les choses claires sont devenues obscures. Légistes qui à force de science légale ne voient plus la justice ; théologiens embroussaillés ayant desséché le divin dans l’herbier de leurs subtilités ; philosophes enlisés dans le scepticisme et finissant par se demander s’ils existent ; moralistes ayant perdu la boussole, au point de ne plus distinguer la droite d’avec la gauche. Devant ces phénomènes d’aberration humaine, la vérité de la parole de Jésus reprend tous ses droits. C’est pour ces cas qu’elle a été dite.

Ce sont les âmes simples qui voient le plus clair dans le carrefour obscur où nous sommes. Le bon sens dans le raisonnement, la droiture dans la vie, la véritable éloquence, la plus haute puissance de l’art, le secret même du génie sont dans la simplicité. Et l’on peut affirmer que la simplicité suprême est celle des âmes à grande envergure qui ont beaucoup cherché, pensé, lutté, et ont su rester enfants, redevenir enfants, joindre aux conquêtes de l’homme le patrimoine de fraîcheur, de naïveté, de douce bonne foi qui fait le charme de l’enfant. Comparés à eux, les sages de ce monde ne sont que des déracinés.

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