L'ami : $b dialogues intérieurs
L’ÉVANGILE INCONNU
L’Ami. — La plus large habitation offerte à l’âme, la patrie spirituelle la plus compréhensive, est l’Évangile. Son esprit n’est réfractaire à aucune tendance foncièrement humaine. Il offre la plate-forme où peuvent se rencontrer tous les intérêts supérieurs, fraterniser toutes les formes d’intelligence, se lier tous les efforts. Hélas ! qu’ont fait de cette habitation les hommes à vues courtes, rapides à trancher, à clore les questions, à dénoncer la solidarité de l’adversaire ? Ils en ont muré les fenêtres, verrouillé les portes, épaissi les remparts : ils l’ont transformée en cachot pour l’esprit, en citadelle hérissée et menaçante d’où l’anathème se lance à ceux du dehors. Et de temps en temps, de l’intérieur, quelque frère ayant cessé de penser selon la formule, est jeté par-dessus la muraille.
Ils ont agi à l’égard de la maison comme à l’égard du maître.
« Je suis le fils de l’homme », avait-il déclaré. Ils en ont fait un chef de parti, ou tout au moins, même en le divinisant, un homme comme les autres, tenant à ses particularités, à son nom, à son moi, accessoires inclus. Et qui donc a compris que le Fils de l’homme n’était ni à comparer, ni à mettre en concurrence avec personne ? Car de tout ce qui fut grand et saint à travers les âges, dans n’importe quel contingent de l’humanité, il aurait pu dire : Celui-là est avec moi, et je suis avec lui ; bien plus, celui-là est un peu moi, et moi je suis lui.
Ne s’est-il pas identifié avec les petits, les enfants, les malades, les pauvres, les prisonniers ? Quel est ce moi, à qui est fait tout ce qu’on fait aux autres, bien ou mal ? Est-ce le moi d’un particulier, ayant des intérêts privés, dirigeant une raison sociale, en rivalité avec d’autres ? Non, il est le Fils de l’homme, et rien d’humain ne lui est étranger.
Quand ses champions fanatiques attaquent la science, c’est lui qu’ils attaquent. Quand ils persécutent les hommes en son nom, c’est lui qu’ils persécutent. Quand vous méprisez les humbles, les simples, c’est lui que vous méprisez. Quand vous abaissez les prophètes pour le grandir ; quand vous diminuez les sages païens pour augmenter son éclat ; c’est lui que vous abaissez, diminuez et voilez. Il n’a pas concouru pour le prix de sainteté, ni pour celui de sagesse, ni pour celui de grandeur. Vos comparaisons, vos petites rivalités, les couronnes que vous arrachez à d’autres, pour les jeter à ses pieds, sont des procédés odieux et méritant d’être condamnés par la parole : « Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes animés ! »